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De Terragen à Terragen 4 : récupérer ses anciens paysages

Avant de diriger mon phare d’exploration dans le monde des fractales, j’ai passé beaucoup de temps à me familiariser avec ce qu’il est convenu d’appeler les logiciels de génération de paysages. Moins intimidants que les « grands » logiciels de 3D, ces « petits » softwares aux interfaces très simples ont souvent constitué la porte d’entrée de la 3D pour nombre d’infographistes renommés aujourd’hui. Ils permettaient il est vrai d’obtenir des résultats assez magnifiques et animaient les conversations enflammées de nombreuses communautés dont certaines subsistent aujourd’hui. Ainsi Bryce, MojoWord, ArtMatic Voyager, Terragen 0.9 (!), Vue d’Esprit

Notons au passage que tous ces logiciels utilisaient (et utilisent toujours) les équations fractales pour générer les paysages, les nuages, les surfaces aquatiques, justement…

En ce qui concerne Terragen, voici quelques-uns de ces forums spécialisés (liste non exhaustive) où – attention – il est tabou d’utiliser d’autres logiciels que Terragen voire seulement d’évoquer la concurrence !
Forum Terragen. Groupes Facebook : Terragen Galleries (671 membres), PlanetSide Terragen (157 membres), 3dDigitalLandscapers (1362 membres).

La préhistoire : VistaPro

Au début était Vistapro… Et je me souviens, jeune chroniqueur sur la chaîne de télévision Voyage, préparer une émission sur les explorations de la planète Mars. Et avoir été mis en relation avec un passionné, Olivier De Goursac, créateur de la Mars Society, comme potentiel invité.

A la recherche d’illustrations vidéos, rarissimes à l’époque, j’eus l’idée de demander un clip de synthèse de ce que serait  une vue animée de l’exploration du canyon géant Valles Marineris ; et Olivier eu l’imprudence d’accepter le défi.
Aux limites des possibilités des ordinateurs de ce temps là, au prix de plusieurs nuits et jours de rendu (sur… Vistapro !) et de probables nombreux départ d’incendies !

Las, j’eus le clip dans les temps (la télé en direct n’attend pas…) et je m’en souviens encore et sans doute Olivier aussi ! Ce fut une bien belle chronique ! 🙂

 

Ce logiciel, pour novateur qu’il fut, souffrait de nombreuses lacunes et fut bientôt surclassé. Voici une interview du Neo-Zelandais Matt Fairclough en podcast, qui nous raconte comment lui est venu l’idée de développer un logiciel concurrent de VistaPro, Terragen, révolutionnaire pour l’époque.

Terragen 0.9

Avant toute chose, un regard sur l’interface du « premier » Terragen 0.9 (qui fonctionne toujours) pour voir d’où l’on vient, et ce qu’il était possible de réaliser avec… C’était un peu l’histoire de la marcassite et de l’amadou… Ou le silex pour gratter… 🙂

Ces versions (0.9…) ne permettaient pas l’insertion aisée de végétation. D’ailleurs, rien n’était aisé avec cette mouture et les pages de mode d’emploi se comptaient par milliers. Raison pour laquelle les créations d’alors avaient une forte composante géologique pure. Ou alors, on ne générait que des paysages lointains. Et foin de végétation !

Les premiers âges… Comme beaucoup d’afficionados, j’y ai passé des centaines (des milliers ?) d’heures. J’ai avalé des centaines de pages de docs et de « tips & tricks » en anglais, gravées dans le marbre, apprenant inlassablement les tables de la loi, des tours de mains complexes et tordus, certain de la pérennité de ces connaissances que je croyais inaltérables et définitives. Avant de réaliser, au fil des années, que tous ces concepts chèrement assimilés étaient devenus obsolètes, dépassés, inutiles… Que le temps passe, la mémoire s’efface et que la vie est courte. Et que les nuits sont en principe faites pour dormir…

Mais, par forums interposés, on s’extasiait des dernières trouvailles des Terragenautes distingués ; premiers « god rays » (rayons solaires à travers les nuages), sortilège de l’effet « bliss » (rayons obliques, en fontaine de lumière) et autres plaquages de textures inventifs…

Ci-dessous quelques (souvent naïves) illustrations que j’ai réalisé au cours de ces années fiévreuses, minérales, spatiales et sous-marines…

Terragen 4

Par pur perversité, j’ai eu la curiosité de plonger dans la nouvelle version de Terragen qui sévit depuis quelques années. Inutile de chercher d’anciens repères ou de pouvoir récupérer les anciens fichiers réalisés avec les versions de Terragen 0.9 : C’est un tout nouveau logiciel, une nouvelle logique, de nouveaux réglages à réapprendre entièrement…

Comme ils l’indiquent dans leur forum dédié : « l’import des anciens fichiers à été envisagé à un moment mais n’est plus d’actualité ». En réalité, la tâche semblait trop ardue en terme de programmation pour un bénéfice minime (du point de vue des développeurs). Et tant pis pour tous ceux qui avaient acheté les versions précédentes. Eternels becs enfarinés que tous ces testeurs « béta »… D’ailleurs, il aurait été plus honnête de la part des développeurs de rebaptiser entièrement le software. Ici, même nom mais la « compatibilité ascendante » est battue en brèche : tout le travail « ancien » est perdu. Dé fi ni ti ve ment… Enfin presque, comme on va le voir plus bas (je suis du genre acharné !).

La version actuelle est Terragen 4.3. Avec une version lite en libre téléchargement, pour se faire la main. Et on fait effectivement de belles choses avec, très proches du graal « photoréaliste » comme par exemple cette démo de Richard Fraser, l’un des gourous de ce nouvel opus…

 

On trouve ici et là quelques tutoriaux pour une prise en main que je vous souhaite pas trop douloureuse. On consultera à profit la chaîne d’un certain Chopine Vladimir (un russe) sans le son (c’est pour les sourds) mais avec des sous-titres anglais, qui a mis en ligne pas moins de 25 vidéos sur le sujet ! Et aussi, sur le site de l’éditeur Planetside Software, la première partie des vingt cinq épisodes du mode d’emploi. Il faut çà !

 

 

Mais, de mon point de vue, ce « nouveau » soft a quand même pris un sacré coup de vieux question interface, implémentation des nouveaux éléments dans la bibliothèque et souffre de lourdeurs d’un autre temps.

Il m’apparait largement distancé par les logiciels 3D « généralistes » (Blender et sa foule d’addons et plugins) et d’autres soft spécialisés comme QuadSpinner Gaea mais ce n’est qu’un avis personnel. Chat échaudé…

 

Vitesse ?

Les développeurs se sont fendus d’un test de rendu que j’ai évidemment essayé, en bombant le torse. A partir d’une scène de démonstration créée par Ulco Glimmerveen à télécharger sur leur page Benchmark. Libre à vous d’aller ensuite consulter la liste des résultats. Très déprimant…

Ainsi, certains qui arborent fièrement 18 ou 32 coeurs, voire les nouveaux processeurs Ryzen 9 d’AMD sur leur Windows 10 pourri rendent le bazar en moins de 5 mn. Le premier Mac de la liste (i9 avec 8 coeurs et OSX Mojave, quand même), se traîne lui en 7’46. Quant à moi – honte – avec mon « petit » i7 4 coeurs qui date maintenant de plusieurs années : plus de 40 minutes ! Fermez le banc.

Si un jour, j’en ai eu une grosse, elle est désormais toute petite, ma puissance graphique…

 

Concernant le paysage de référence proposé, j’ai enlevé le ridicule petit panneau d’origine et travaillé un peu les contrastes de l’image, histoire de rendre le tout encore un peu plus « réaliste »…

 

 

 

 

Récupérer les anciens fichiers Terragen ?

Mais alors, que faire des tonnes de préréglages, terrains, textures, strates, mers, rivières, couleurs, nuages, atmosphères (veaux, vaches, cochons…) et autres images et fichiers, patiemment élaborés langue pendante à raison de centaines d’heures de labeur acharné avec l’ancienne version Terragen 0.9 ?

On a déjà expliqué plus haut que le mieux était de se les caler derrière l’oreille (pour rester poli). Mais supposons qu’on ait absolument besoin d’une illustration « passée » mais dans une résolution nettement supérieure. Pour l’impression, par exemple.

Pas d’autre solution que de reinstaller le « vieux » Terragen sur un « vieux » Windaube, en priant pour que çà marche encore longtemps. Et attendre 10 jours le rendu final… Insupportable perspective.

 

Anciens paramètres : c’est très clair !

J’ai cherché un autre moyen. D’autant qu’il existe un plugin payant pour 3DS Max 2015 qui est censé être capable de réaliser ce miracle : récupérer le terrain avec tous les réglages caméra, éclairage et nuages et y appliquer une texture « composite » issue des fichiers Terragen. A voir… Mais ce « cheat » n’est qu’un pis aller puisqu’on ne récupère pas vraiment toutes les possibilités de « tweaking » des fichiers d’origine.

L’ancienne version de Terragen accouchait de fichiers .ter (terrains), .tgw (« Monde » : en fait toute la scène sauf le terrain), .srf (shaders imbriqués pour les textures, .atm (tout ce qui concerne les atmosphères, soleil, brouillard et nuages)…

Dès l’origine, la logique du processus de sauvegarde tenait du vaudou. Pas moyen de sauvegarder l’ensemble du travail dans un gros fichier avec un bon gros nom explicite et une extension, quelle qu’elle soit.

 

Nan, bien entendu. Il fallait d’abord sauvegarder le terrain (extension : .ter) puis le « monde » avec le même nom (pour s’y retrouver parmi les milliers de fichiers) mais avec l’extension .tgw. Ce deuxième fichier contenait toutes les informations concernant la caméra, son orientation précise, sa focale, la position du soleil, les nuages, atmosphères, textures de terrain, niveaux d’eau, etc. Tout, quoi. Mais, combien se sont retrouvés le bec dans l’eau en l’absence du fameux fichier .ter ? Impossible de reconstituer la scène… Passé, passons…

Et justement, ce fichier .ter (qui n’est somme toute qu’un dégradé de niveaux de gris codés en 16 bits et en 2049 px X 2049 px me rappelle quelque-chose. Mais bien sûr : World Machine et quelques autres utilitaires de « paysages » utilisent tous ce format. Se pourrait-il que ?… Narines frémissantes, j’ouvre résolument Terragen 4 et, pour l’exemple, cherche à lui faire manger un de mes anciens terrains (ci-contre), précisément celui m’ayant permis de générer l’image « Celtic » ci dessous…

 

Miracle ! Terragen 4 l’ouvre, effectivement. Pour ce faire : Onglet Terrain, Add Terrain, Load heighfield (TER)… Pour visualiser le fameux terrain rescapé, il faut d’abord se servir du gizmo en haut à droite pour changer le point de vue. Touche alt enfoncée on glisse la souris dans la fenêtre mais rien n’y fait : c’est de la bouillie pour chats ! Ce qui s’appelle jouer au chat et à la souris…

C’est parce que les conventions de coordonnées ne sont pas les même d’un logiciel à l’autre et que la caméra se trouve sous le terrain ! D’ou cet aspect fantomatique, aussi agaçant que caractéristique (quand on le sait…)

Rapido, je rajoute ce qu’il faut, modifie la position de la caméra (Camera Orientation head pitch bank est devenu dans Terragen 4 Pitch head bank…) et – joie- le terrain apparait !

Avec une texture aléatoire qui rappelle plus une moquette bon marché, il faut bien le dire, qu’une lande irlandaise…

 

 

 

Serait-il possible dès lors de récupérer (presque) tout de l’ancien dessin ? Par copié / collé (en croisant les doigts, ce qui est difficile) on parvient en effet peu ou prou à récupérer l’angle de champ (focale) de la caméra et son point de vue. Puis la direction de l’éclairage réaliste principal : le soleil… Les yeux embués, je découvre enfin MON terrain dans le juste éclairage et le bon angle. Toutefois, il faut le dire, plutôt nu comme un ver. Mais il n’y a pas de petites victoires !

Tout d’abord, ajoutons un peu « d’atmosphère », la « haze »… En effet, les lointains s’estompent subtilement, comme « pour de vrai ».

Puis, c’est au tour des nuages (autre génération fractale) pour habiller un peu ce ciel trop pur… En les « tweakant » un nombre incalculable de fois pour se rapprocher au mieux de l’illustration originale. Sans aucun espoir de l’atteindre jamais, toutefois : dans le monde des fractales il est impossible d’obtenir deux fois le même résultat, c’est ce qui en fait tout le charme !

C’est long. Très long ! Pour l’exemple : En 3000 pixels de large on en est déjà à un maillage 3D du paysage constitué de 9.066.230 polygones (triangles), rendus en treize minutes et 12 secondes (ce sont les dernières 12 secondes qui sont les plus longues…) En ajoutant une première couche de nuages (des stratus plats), le temps de rendu passe à plus d’une heure vingt. Avec une autre couche de nuages (alto cumulus), il faut se ronger les ongles pendant une heure quarante quatre… Mais voilà le ciel ! Il peut pleuvoir.

C’est déjà mieux mais ce paysage apparait encore bien dénudé comme « le jour d’après » ; ou après une overdose de glyphosate. Butinant alternativement d’un Terragen à l’autre, façon abeille sous amphétamines, le cul poisseux de réglages, je parviens à coller en plusieurs passes des lambeaux de textures rescapées : ici des morceaux de bruyère, des îles de mousse, là des bosquets d’ajoncs, de genêts…

Pour finalement, au prix d’un compositing forcené dans GIMP, obtenir enfin un paysage convainquant, ressemblant à peu près à « l’ancien ». C’est peu dire que je suis fier comme un bar tabac !

Avec les as de Terragen

Malgré ses défauts, notament sa proverbiale lenteur de rendu, le Terragen nouvelle mouture permet d’obtenir des environnements d’un réalisme saisissant. Il fait ainsi partie du « workflow » de la plupart des blockbusters récents au cinéma, principalement pour réaliser des paysages de « fond », animés ou non, qu’on appelle des « Matte paintings« . En autres, Ad Astra, Kursk, First Man, Avangers, Star Wars, XMen apocalypse, Seul sur Mars, Elysium, Oblivion, Tron Legacy, Tomb Raider

Voici quelques exemples de ces studios de graphisme et de post-production »VFX », films, « commercials » et autres productions télé :

 

Les 100 ans de Paramount

 

Le jeu Halo 5 : Guardians
L’artiste Mukul Somon travaille avec et l’utilise pour générer des paysages cosmiques impressionnants…

 

La série « Trésors sous les mers » de National Geographic
Série à succès en trois volets, qu’on voit de temps en temps sur les chaînes fraçaises. Il s’agissait de faire croire à l’assèchement de mers et d’océans pour mettre en évidence sur certains sites une vision panoramique des fonds et des épaves qui s’y trouvent. La société 422 South basée à Bristol a ainsi utilisé Terragen (rendus hélas parfaitement reconnaissables par les spécialistes) pour ce faire.

 

Robert Nederhorst
Autre usage, détourné cette fois : Les environnements HDR (High Dynamic Range) créés par Terragen 4 peuvent être utilisés comme sources lumineuses et environnements de réflexion pour d’autres moteurs de rendu, en lieu et place des habituelles photos. Le soleil synthétique est aussi brillant que le vrai – bien mieux qu’en photographie HDR – et on peut contrôler sa taille sans affecter sa contribution totale à l’éclairement de la scène afin d’obtenir la meilleure qualité dans le moteur de rendu de destination. Ainsi ont été réalisés quelques uns des éclairages du film Tron : Legacy.

« Terragen m’offre des cieux et des environnements incroyables depuis de nombreuses années maintenant », déclare Rob Nederhorst, superviseur VFX chez Radium – ReelFX Creative Studios. «L’équipe a ainsi fait un bond exponentiel en termes de réalité photographique. J’ai réalisé plusieurs projets avec Terragen où il a généré des HDRI d’éclairage et de réflexion et ceux-ci sont devenus la seule source de lumière dans les rendus 3D ».

Et au delà…

Ad astra
Cet hélas navrant navet cosmique a été réalisé principalement avec les logiciels Maya et Houdini et le compositing fait dans Nuke : voir le making of. Toutefois, quelques effets spéciaux ont été peaufinés avec Terragen, par l’un des « gourous » du logiciel : Richard Fraser. Il faut regarder aussi à profit son « showreel ».

 

The Planets
Magnifique série pour BBC Earth et très beau travail sur Terragen du londonien Alex Jevon… Qui a sévi également pour la série culte, bariolée et pileuse Teletubies en 2014, avec Terragen aux côtés de Speedtree, Mudbox, Softimage….

Poursuivons et terminons dans d’autres mondes avec les extraordinaires et réalistes images spatiales de la planète Mars de Kees Veenenbos, réalisées avec la première version de Terragen et les données de la NASA, véritable exploit graphique, images plébiscitées en leur temps par cette même NASA, National Geographic, entre autres…

Le site malheureusement n’est plus actualisé depuis longtemps et difficilement consultable mais ces images incroyables, basées sur de réels terrains ont influencé beaucoup d’artistes dont je fais partie, je le confesse. A mes débuts, ces réalisations m’apparaissaient tout simplement comme surnaturelles…

© Kees Veenenbos – National Geographic. Spirit Rover site. Gusev Crater Homeplate Noachian period. Another concept with more water and fumerols.

 

Dans la même veine cosmique, les incroyables images du graphiste irlandais Seán Doran qui font, elles aussi, parfois appel à Terragen, comme cette vue du satellite de Pluton

L’artiste dispose d’un compte Flickr (si, si, ça existe encore) particulièrement fourni comme ces divers panoramas de la planète Mars…

MSL 1856 ML Panorama North 1080 wallpaper

 

Publié le Juin 25, 2022

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