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Fractales : le making of de « Drakkar »

D’où me vient l’inspiration pour réaliser tel ou tel tableau ? C’est une question qu’on me pose souvent. Les réponses sont variées mais reposent toutes sur la notion d’exploration. L’exploration visuelle et non géographique de mondes multidimensionnels créés grâce à des logiciels de génération de fractales, ici Mandelbulb3D. Voici toute l’histoire…

Une fractale perdue…

Ces jours-ci une cliente me commandait sur la boutique en ligne le tableau Drakkar, dans la collection « Cosmos ». Je m’apprêtais donc à imprimer le tableau en haute définition quand je réalisais qu’il s’agissait d’une fractale récente pour laquelle j’avais travaillé en basse définition, pour accélérer les temps de rendu. Détestable habitude, avatar de la fièvre de l’exploration, en l’occurence des fractales de Klein dont nous parlions récemment…

En effet, si la définition du fichier est suffisante pour un affichage sur le web, elle est bien trop basse pour l’impression haute qualité sur l’Alu Dibond, support de mes tableaux.

Qu’à cela ne tienne, il suffisait de procéder à un nouveau rendu en haute définition et quelques travaux de post-production plus tard, ma cliente aurait son tableau… En principe, chaque fractale destinée à la vente est sauvegardée plusieurs fois ainsi que les différentes étapes m’y ayant conduit. Las, les fichiers de paramètres semblaient avoir disparus de mes disques ! Tous les paramètres, de tous mes disques, comme un « fait exprès »… Grosse déprime.

En effet, et c’est ce qui en fait le prix, il est impossible de « recréer » une fractale à l’identique : on parle ici de la combinaison de centaines de paramètres dont la moindre variation à la dixième décimale change radicalement l’aspect de la fractale !… Ayant eu récemment quelques soucis de machine (barrettes mémoire HS), le dossier « Klein » contenant tous les précieux paramètres avait du être effacé par mégarde.

Quelle déception ! Et je me mettais à la place de la cliente, auteure de science fiction de surcroit, ayant soigneusement fait son choix et qui s’entendrait dire : « suite à une erreur de production votre tableau n’est plus disponible ». Insupportable ! Sans illusions, je passais quelques heures à tenter de reproduire la fractale perdue, en vain. Et je me voyais assez mal demander à la cliente :

– Euh… Le drakkar a un peu rétréci, le ciel est pourri et l’eau franchement dégueulasse : je vous le mets quand même ?

En désespoir de cause, je scannais un gros disque (8 To) de sauvegardes obsolètes que je m’apprêtais à re-formater et le miracle opéra : le dossier Klein, complet ! Avec en prime, des dizaines de paramètres perdus de la même façon… La sérotonine coulait à flots…
Forcé de recréer chaque étape du processus pour obtenir le tableau final, c’était l’occasion de générer les images intermédiaires et de publier ce « making of ».

Le concept

Chacun voit ce qu’il veut dans une fractale et souvent ce qu’il veut y voir. En zoomant sur un des nombreux « tentacules » de la fractale de Klein, un détail m’évoqua soudain un navire Viking : un drakkar… Qui par association d’idées me renvoyait à ce fantastique voyage que nous avions fait il y a quelques années et dont nous avions tiré le film Septentrion. L’Arctique extrême et ses lumières si particulières…

Alors, je l’ai « vu » ce fier navire du futur traçant sa route au milieu des icebergs à la recherche de nouvelles terres, dans l’ultime Thulé

Je n’avais plus qu’à le faire « flotter », l’équiper de vitres hémisphériques en méthacrylate et à naviguer en rêve dans les eaux glaciaires d’une lointaine planète, toutes choses accessibles aux logiciels que j’utilise…

 

Le niveau de l’eau

D’abord, couper la fractale et générer le niveau de l’eau. Dans Mandelbulb3D il est possible de combiner plusieurs équations fractales et par la fonction « DE Combinate » d’obtenir la résultante.

En plus de la fractale de base « JoshKleinIFS » j’ajoutais donc un plan, « HeighMapIFS » dont il suffisait d’ajuster les paramètres pour qu’il « coupe » mon drakkar au bon endroit.

 

 

 

Comme son nom l’indique, cette fractale « HeighMap » peut aussi recevoir une texture afin de lui donner une apparence propre, au relief plus ou moins accentué.

Je vous le donne en mille, j’ai utilisé pour ce faire une texture non pas d’eau mais de cuir ! Avec un réglage « H scale » à – 0.1, j’ai ainsi obtenu un niveau d’eau de mer calme, assez convaincant…

Ambiance et éclairage

J’avais en tête une ambiance bleue orangée avec un brouillard léger, comme j’avais pu en admirer à l’extrême nord du Groenland. Je plaçais ces deux couleurs dans le canal « depth« , ajoutais un brouillard de couleur blanche et, en jouant sur les différents réglages, pu obtenir cette ambiance « arctique » avec ses reflets dorés.

Un seul éclairage principal (simulant ici le soleil à contre-jour) en utilisant la fonction « positional » et le réglage « visible » sur 4 pour obtenir cette « boule de feu » que je remplacerais en post production mais qui sert ici à générer des ombres portées exactes. Il était temps de lancer un premier rendu en 5K ce qui a pris (tout de même) plus de 10 heures en émulation Windaube sur mon Mac…

Ombres, hautes lumières et réflexions

Il faut compter encore une heure et demi pour générer les ombres portées « Hard Shadows » et l’occlusion ambiante « Ambient Shadows » ce qui donne à l’ensemble du rendu un aspect plus réaliste, en particulier la surface aquatique… Le plus fastidieux et le plus long est fait !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais nous sommes encore loin du réalisme voulu : le ciel et l’eau sont plats et « monochromes », la structure est trop sombre et sans hublots et l’eau ressemble plus à une plage à marée basse qu’à l’océan arctique ! Pas besoin de réfléchir plus longtemps : il manque la passe de réflexion, justement (accessible dans l’onglet « Post processing« ).

Encore quelques heures de rendu et notre Drakkar a fière allure, reflété dans l’eau comme un cygne noir. Sa structure se trouve précisée et éclaircie grâce à ces même réflexions. Encore qu’il y aurait beaucoup à dire sur la nature du matériau appliqué à cette portion de la fractale mais :
1/ Je ne vais pas vous livrer tous mes secrets d’un seul coup et…
2/ Ce post est déjà long comme un roman : abrégeons !

Les hublots en transparence

Deux méthodes sont possibles pour ce faire mais il faut auparavant procéder à un nouveau rendu (15 heures… Canicule…) en faisant apparaître les sphères de la fractale de Klein. C’est très facile en réglant « Options » sur 7 au lieu de 5 à moins que cela ne soit le contraire ! Ou 12… Il y a en tout 510 options possibles : les masos trouveront la liste complète ici

Oui, je sais, c’est très logique. Mais la pratique de Mandelbulb3D est une forme d’ascèse, voyez-vous ?… Tout est « expliqué » dans l’onglet « i », en regard du nom de la formule…

Nous voici donc en possession de ce calque « plein » et la solution apparait d’elle même : il suffit dans un logiciel de traitement d’images (The Gimp, Photoshop…) de superposer cette image en mode « éclaircir » sur celle de l’armature en réglant éventuellement sa transparence. C’est la méthode dite du « goret moyen ». Car, si les réflexions sur le verre sont correctement simulées, il n’en va pas de même de la réfraction qui n’existe tout simplement pas ! Honte à nous. Mais nous nous servirons tout de même de cette passe pour souligner le reflet du hublot le plus à droite…

Heureusement, dans Mandelbulb3D, il existe une fonction particulièrement difficile à maîtriser (j’ai bien dit : di-ffi-cile : vous êtes prévenus…) pour rendre certains objets transparents, en l’occurence les « bulles »… Premier essai infructueux en utilisant pourtant l’indice de réfraction de 1,49 pour le méthacrylate qualité marine. Bien que physiquement juste, cela ne rendait pas l’effet escompté. Tâtonnements, cris et chuchotements… J’en ai profité pour terminer l’implantation des hublots (ces feignasses du chantier naval m’avaient livré une précédente version où manquait une infinité de hublots et qui donc prenait l’eau)…

Le compositing

Il est temps de réunir tous les calques et de procéder aux derniers ajustements pour obtenir l’image finale. Nous avons donc en fond l’image du drakkar issue de Mandelbulb3D, avec les ombres et les reflets sur l’eau et, par dessus, la passe des hublots pleins avec leurs réflexions (hautes lumières et ombres) et la passe des hublots transparents avec réfraction et autres déformations et aberrations chromatiques.
Tous ces pinaillages peuvent sembler superfétatoires et trop subtils au profane qui pensera sans doute que j’ai tendance à couper les fractales en quatre. Mais il faut savoir que même « invisibles », tous ces effets participent au réalisme de l’image finale et font la différence entre une image « numérique » et une image à laquelle on peut croire. Un non initié ne distingue vraiment que moins de 10 % de l’image qu’il regarde mais il « ressent » les 90% restants et encore plus s’ils sont manquants…

Attaquons le ciel ! Pour l’instant, il s’apparente à un simple dégradé bleu/orange (hors réfractions, voir plus haut 🙂 ) Il nous faut le complexifier. Entre les deux calques, nous allons insérer un ou plusieurs calques de nuages qui apparaîtront ainsi à travers les hublots. Nous utilisons pour cela le pinceau et des bibliothèques de formes de nuages (l’Internet en regorge). Peindre avec des nuages : on fait décidément la pluie et le beau temps… Penser à faire varier (subtilement) la couleur des nuages et leurs modes de fusion et d’opacité pour se rapprocher (ou non) d’un « vrai » ciel nuageux.

Il est temps de peindre les icebergs de la ligne d’horizon sur lesquels on appliquera un flou gaussien, en rapport avec leur éloignement. Dans la foulée, j’ai ajouté un sillage au drakkar pour fondre un peu mieux la ligne de flottaison avec l’eau : les images 3D numériques sont toujours trop « propres »…

Poursuivons l’opération « salissures » avec le filtre Analog Efex Pro de la Nik Collection. Cette dernière suite, qui était gratuite chez Google a été rachetée par un éditeur et elle est (re)devenue payante. L’ancienne version, dans la foulée, a été rendue inopérante par je ne sais quel tour de passe passe programmatique. Du vice ! Mais à vice, vice et demi… 😉 Bref, j’ai appliqué au pinceau un effet Bokeh qui a pour effet d’assombrir les angles et donc de renforcer leur teinte tout en focalisant le regard vers le sujet au centre. Et ajouté une trame de « salissures » en noir et blanc issue de la collection « collodion humide ». Ajouté à l’image en mode incrustration à 15 % d’opacité cela augmente le réalisme général.

Ne reste plus qu’à s’occuper du soleil. Tout le monde aura remarqué que lorsqu’on photographie « pour de vrai » le soleil à contre jour, des aberrations optiques apparaissent : rayons, halos, points de lumière colorée, images hexagonales du diaphragme… C’est ce qu’on appelle le « Lens flare« . Plusieurs filtres permettent de reproduire cet effet de manière assez réaliste, en fonction par exemple de la focale de l’objectif. J’ai choisi un bête objectif de 35 mm « de base » (un accès de sobriété) et que vivent les rayons !

Il n’y a plus qu’à signer et préparer les fichiers haute définition avant de les envoyer à l’impression sur le support aluminium… Mais ceci, est une autre histoire ! 🙂

 

Publié le Juil 7, 2019

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