On imagine bien, dans la pénombre Empire d’un cabinet de curiosités aux bois cirés, dans les parfums d’encens et de musc, ces notables en redingotes et goussets, ces belles poudrées de riz en robes à crinoline, se presser pour assister à ces manifestations divines. Comme pour les séances de spiritisme et de « ouija » très populaires à l’époque ; oui ces démonstrations avaient sans nul doute à voir avec « l’au delà ». Le brouhaha des conversations cessait quand le maître Chladni avançait, mystérieux. Il dévoilait alors en prestidigitateur un archet de violoniste…

Du son en images !

Lui qui deviendra le fondateur de l’acoustique avant de s’intéresser à l’origine extraterrestre des météorites et qui inventera plus tard des instruments de musique originaux dont l’euphone et le clavicylindre, jouait cette fois d’un bien curieux instrument : une plaque de cuivre posée en son centre sur un trépied de bois. En frottant l’archet sur le bord naissaient des sons ; mais plus fort encore : en saupoudrant la plaque de sable fin, des figures géométriques apparaissaient, d’autant plus complexes que la fréquence du son était haute. Surnaturel ! Pour la première fois on « voyait » le son.

« Qu’on juge de mon étonnement en voyant ce que personne n’avait encore vu. Il apparut une étoile à 10 ou 12 rayons, qui m’évoqua aussitôt les expériences sur les figures électriques de Lichtenberg« 

Et c’était reproductible : l’habile expérimentateur, sûr de son fait, avait testé la pérennité du phénomène qu’il avait découvert et qui deviendraient pour la postérité les figures de Chladni.

Toutefois, comme souvent en sciences, ce phénomène d’apparition de motifs sur une plaque en vibration n’était pas nouveau. Il fut repéré dès 1638 par Galilée. Des expériences plus poussées furent réalisées par Robert Hooke, en 1680, en utilisant de la farine sur des plaques de verre. Plus tard (1831) une instabilité hydrodynamique du même type sera découverte par Michael Faraday.

 

C’était tout de même extraordinaire et ces deux vidéos vous en montreront plus sur le phénomène.

 

L’explication du miracle

On était là devant une véritable manifestation physique, étrange, au point d’attirer l’intérêt de l’empereur Napoleon lui-même qui, piqué de sciences, décida en 1808 d’attribuer un prix à quiconque trouverait l’explication du phénomène et saurait le mettre en équations.

Un défi relevé par un certain Le Blanc qui s’avéra être une mathématicienne de génie, Sophie Germain, qui correspondait avec les illustres Gauss et Legendre, en se faisant passer pour un homme (Antoine Auguste Le Blanc) en raison des préjugés de l’époque.

Toujours est-il que c’est elle qui finit par réussir à formaliser cette propriété des vibrations sonores et à remporter le prix convoité comme le raconte très bien cette vidéo de Mathador sur sa chaîne Youtoupe que je vous recommande.

 

 

A coeur ouvert

Ce billet sur la cymatique trainait dans mes brouillons depuis des années quand il fut en quelque sorte ressuscité par un « touite » de l’excellente Peonia sur X (ex touitaire) qui attira légitimement mon attention. Dans un de ses récents billets – qui nous change des meutes de chiens enragés qui s’entredéchirent pour la vérité ; la leur – elle faisait état de recherches de Stanford qui pour moi étaient liées indubitablement aux antiques figures de Chladni. En voici un court extrait :

 

 

En médecine bio-acoustique du son, on enseigne que les sons impriment chaque cellule. Des recherches à l’Université de Stanford étudient l’acoustique permettant de créer de nouveaux tissus cardiaques. Le cardiologue Sean Wu, MD, PhD, et Utkan Demirci, PhD, bio-ingénieur acoustique, utilisent l’acoustique pour manipuler les cellules cardiaques selon des modèles complexes. Un simple changement de fréquence et d’amplitude met les cellules en mouvement, les guide vers une nouvelle position et les maintient en place. L’acoustique peut créer une forme qui ressemble au tissu cardiaque naturel. Grâce au son, on peut créer de nouveaux tissus pour remplacer des parties de cœurs endommagés. Créer et harmoniser, nettoyer et libérer… On peut imaginer utiliser des sons harmoniques naturels non invasifs, tels que nos voix et nos instruments acoustiques.

 

 

Des figures de Chladni générées avec Blender ?

La cymatique est un néologisme créé en 1967 par le médecin et artiste suisse Hans Jenny pour désigner la technique permettant la visualisation des vibrations acoustiques. Adepte de l’anthroposophie depuis le lycée et influencé par les idées de Goethe sur la nature, Jenny voulait mettre en évidence les effets des vibrations sonores. Des considérations sur les correspondances entre sons et fonctions vitales forment l’essentiel d’un ouvrage dont il est l’auteur et qui fonde une doctrine ésotérique.

Les praticiens de la cymatique mettent au point des «expériences spectaculaires qui nous mène bien au-delà des frontières d’une conception matérialiste du monde». Discours plus fumeux qui relie les vibrations en général à l’ensemble de l’univers. La cymatique oriente certaines pratiques de la sonothérapie, thérapie utilisant les sons et les vibrations ; elle a servi aussi à la genèse d’œuvres d’art et, on vient de le voir, dans la chirurgie cardiaque.

Quoiqu’il en soit, au premier coup d’oeil on reconnait la nature fractale de ces figures ce qui explique mon intérêt. Grande est alors l’envie de modéliser tout cela sur des logiciels graphiques. Pour jouir tout son saoul d’infinies variations sans risquer de se couper ni donner le moindre coup d’archet. Ces images ressemblent en effet à des textures symétriques de bruit, de Perlin, de Voronoï… Mais la vérité est ailleurs. C’est alors que je tombais sur ce papier (et d’autres) où est révélé une formule simplifiée de la résonance harmonique et donc de la cymatique et des fameuses figures de Chladni. Voici la recette magique :

cos(npiX/L)cos(mpiY/L)-cos(mpiX/L cos(npiY/L = 0

avec X et Y = position, L = longueur, n et m = résonance

Et, qui dit formule mathématique dit possibilité de simuler tout cela dans Blender avec Geometry nodes et quelques noeuds bien sentis ! Un calvaire, en fait. Voici ce que donne la première partie, la « traduction » de l’équation en « nodes » :

Après bien des larmes et l’ajout de quelques éclairages et textures : zwiiiing… Le graal. De quoi jouer des heures. Car bien sûr ce « setup » est paramétrique et je peux simuler n’importe quelle gamme de fréquences. Aaaah… Ooooh… (cris extasiés des lecteurs qui sont parvenus jusqu’ici).

Avec bien sûr une animation pendant que l’orchestre règle ses instruments…

 

Et avec JWildfire ?

Il est sans doute possible de simuler pareilles figures dans le logiciel de génération de fractales JWildfire. Mais je n’y suis pas parvenu : mes connaissances ne sont pas suffisantes ! Et le plugin Chladni « tout fait » qui date de feu Apophysis n’existe plus sur JWildfire. Bec dans l’eau, donc. En apnée.

Voici tout de même quelques figures de Lissajous post symétrisées qui ont rapport avec les sons. Tout le monde sait que ces figures emblématiques des antiques hublots des oscilloscopes ont à voir avec l’acoustique. Lissajous (Jules Antoine) lui-même, d’ailleurs…  Mais ceci est une autre histoire…

Autres essais avec des lignes de Maurer et une déformation Ennepers… C’est beau mais plus proche d’un travail de dentellière que d’un récital de musique concrète…

Toujours avec Ennepers à différents niveaux de complexité mais au départ d’un échiquier… Mat !

Avec une variation SunVoroni et un peu de symétries et rotations : rien à voir mais j’ai trouvé çà joli !

Et pour finir, avec l’indécrottable Crackle, julianisé comme il se doit et animé dans ses derniers retranchements. Mais je ne veux pas entendre la musique qui provoque cette danse de Saint Guy !