Au cours de ce voyage Blue Lagoon – Fun Explorers, je tenais à faire découvrir à nos participants un environnement qui m’est cher : celui du monde souterrain et des eaux douces karstiques. Histoire de changer un peu de l’eau salée et des stupides tortues qui y font des longueurs ;-).

Pour l’initié, un simple regard au sud de l’île de Cebu montre un paysage caractéristique des karsts tropicaux : des sommets en vaguelettes, en cônes, appelé « karst à pitons ». Pour le spéléo, c’est la garantie d’y trouver des grottes et des gouffres profonds (qui sont bien présents à Cebu, dans la région de Lantoy) et aussi des rivières souterraines et des résurgences d’eau douce (qui restent à découvrir).

L’eau du calcaire…

Quel paradoxe ! Rudi Poittier, le patron du Dolphin House ne cessait de nous répéter à juste titre que l’eau était rare sur Cebu et à Moalboal en particulier et qu’il fallait se rationner. Et pourtant, que d’eau, que d’eau sur (ou plutôt dans) ce « caillou ». En effet, dans ce type de paysage calcaire, les pluies abondantes sont très rapidement absorbées dans les failles du calcaire et s’écoulent rarement en surface. Sous terre, par contre, elles forment de vastes aquifères où les eaux circulent dans les profondeurs du massif par des réseaux de galeries avant de ressortir au jour (à Casili Springs par exemple) ou, plus probablement dans le cas de Cebu, à grande profondeur sous la mer…

Revenons un instant sur la formation de cette île, ce bloc de calcaire corallien anachronique qui semble perdu en pleine mer. Il faut pour cela remonter à la fin du Pliocène/début Pleistocène, soit un voyage d’au moins 3 millions d’années en arrière…

Les Philippines font partie de la ceinture de feu du Pacifique, situées sur une zone de subduction où la plaque tectonique philippine (à l’est) s’enfonce sous la plaque eurasienne (à l’ouest), déterminant des « points chauds » qui sont responsables du volcanisme actif de la région. Et aussi de la fosse des Mariannes, plus profond abysse du monde mais c’est une autre histoire…

A l’origine, Cebu devait être un volcan actif (on retrouve des basaltes et diorites en certains points de l’île) ce qui a constitué le socle de l’île.

Autour, s’est formé au quaternaire une barrière de corail qui, comme chacun sait, est une colonie d’êtres vivants qui repousse sur ses propres cadavres, tant qu’il y a de l’eau de mer, jusqu’à former d’impressionnantes épaisseurs de calcaire. Ainsi, tandis que le volcan éteint s’érodait lentement, jusqu’à disparaître sous les eaux, il a été remplacé par le carbonate de calcium, squelette du corail.

Ensuite, le niveau de la mer à baissé (ou le terrain s’est surélevé) propulsant le souvenir du corail en altitude. Où l’eau de pluie, acidifiée par le gaz carbonique de l’air, a commencé son lent travail de sape… Fin du cours ! Sortie sur le terrain ! 🙂

Le canyon de Matutinao

C’est donc de bon matin que nous partons, fleur au fusil, avec les 4×4 du centre en direction de la montagne pluvieuse, traversant au passage quelques villages et rizières (le fameux pont de la rizière Kwaï) jusqu’à un « bout du monde » dégoulinant de lianes et de feuilles géantes. Et au milieu coule une rivière (trop Redford, ce mec !)… Le début du canyon de Matitunao.

Où l’on retrouve nos ions carbonates dissous, ce qui donne la couleur bleu vert caractéristique de ces eaux. Une rivière « de surface » ? Une exception à mon explication précédente, encore que j’ai mon idée sur la question…

Dans le plus simple appareil en raison de la température de l’eau, nous commençons la descente des rapides, passant de bassins en bassins, escortés par Louie, Marvin et les autres guides.  C’est alors qu’une chute d’eau un peu plus importante s’annonce dans un fracas d’écume. Un dénivelé de quatre mètres. Ça n’a l’air de rien comme çà mais… quand on est en haut… Bref !

C’est mon tour. Serrant bien les jambes pour éviter de me retrouver avec les testicules en boucle d’oreilles, légèrement fléchi pour ne pas se briser le dos, bref, souple comme un chat, je m’élance avec assez d’élan pour éviter de rebondir sur la paroi légèrement bombée et me réceptionner correctement dans le bassin bouillonnant que j’espère assez profond (je suis le gros de la troupe). Par précaution, j’ai envoyé le reste de l’équipe avant moi : ils ont l’air entiers ! 🙂

Petit vol, rinçage de sinus (excellent pour la maladie qui me ronge) et une grande claque dans les vieux tympans du plongeur ! Me voilà sourd pour le restant du voyage…

J’émerge en compagnie d’une semelle en plastique qui flotte, ne réalisant pas tout de suite qu’il s’agit de celle de mon pied droit : je marche à côté de mes pompes ! C’est la fièvre…

En fait, il y a assez longtemps que je n’ai pas été canyonisé et mes chaussures « spécialisées » n’ont pas résistées à cette longue sécheresse. La semelle gauche se décolle lentement à son tour et me voilà pourvu d’une espèce de palme qui bat dans le courant et que je préfère arracher. Me voici donc en chaussons de feutre pour le reste de la descente. Chaussons qui se déliteront progressivement dans l’eau acide en bourgeonnant curieusement pour finalement me laisser pieds nus. Sale affaire… Surtout quand on considère la présence de scolopendres hautement venimeux…

La descente continue, de biefs en biefs, de sauts en sauts, de glissades en glissades avec, parfois, des chutes ridicules « à l’arrêt » sur la roche glissante ou, au contraire, de belles figures en « free style ».

Blague à part, toutes mes félicitations à l’équipe, ces novices qui nous ont suivi dans l’aventure, sans trop savoir ce qui les attendaient, en particulier nos « frêles jeunes femmes » dont certaines n’étaient plus de la toute première jeunesse, et qui ont pourtant assuré « graaaave ».

Celles qui avaient choisi le maillot de bain ressortiront de l’aventure avec les fesses « rouge-donjon » et des ecchymoses sur tout le corps, du plus joli bleu.

Dans la grotte à ciel ouvert

C’est alors que nous débouchons sur un élargissement dont les parois sont décorées de stalagmites comme on le voit très bien sur cette image de notre médecin Jacques Maurice. Une grotte à ciel ouvert !

Car, en fait, ce canyon était à l’origine une rivière souterraine dont le plafond s’est effondré : ce type de stalagmites ne se forme en effet qu’en milieu souterrain… Tout comme les gorges de l’Ardèche, d’ailleurs, dont le Pont D’arc serait un reste de la voûte disparue… On peut imaginer que dans chaque « creux » de ce karst à pitons philippin, il y a une rivière souterraine à découvrir ! Nous étions donc au cœur de ce processus d’érosion des massifs karstiques dont la finalité est de disparaître, dissous lentement par l’eau érosive.

D’ailleurs, nous avons dû franchir un éboulis tout frais, un pan de la falaise s’étant écroulé, sans doute au cours du dernier tremblement de terre et laissant apparaître des fossiles de coraux… Un atoll suspendu, vous disais-je… Après trois heures d’efforts intenses nous avons pu enfin nous reposer et pique niquer de mangues et de bananes aux chutes de Kawasaï. La géomorphologie karstique, ça creuse ! 😉

La grotte de Busaï

Autre phénomène karstique que nous avons pu visiter, une grotte d’où provient l’eau captée qui alimente Moaboal en eau potable. En route, voici quelques images de « l’enfer vert » ;-). Hostile la nature ! Entre pistils géants et fruits du jaquier : une certaine fécondité… De quoi prendre un grand bol de vert…

La grotte se présente comme un bassin d’eau fraiche et transparente, bienvenue par ces chaleurs.

En traversant le bief, on reprend pied dans une haute galerie où coule la rivière. Histoire de rencontrer ses quelques sympathiques habitants, scolopendres venimeux et criquets géants… Avec une mention particulière pour les salanganes, ces hirondelles qui nichent dans les grottes, une des deux espèces d’oiseaux cavernicoles et dont les « nids d’hirondelles » font l’objet d’un commerce lucratif en Asie…

Nous retrouvons le jour par une large sortie donnant sur la forêt. Une autre caractéristique de ces karsts tropicaux, souvent constitués de ces tronçons de grottes traversant les pitons calcaires, vestiges de grottes anciennement d’un seul tenant, en pleine érosion.

Oui, il reste beaucoup à explorer en suivant le chemin de l’eau dans les entrailles de Cebu, ce « caillou » calcaire posé au milieu des Visayas… Nous reviendrons !

Merci à tous nos participants pour leurs belles photos du canyon et de la grotte : ces jours là, j’étais en crève… 😉

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