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Carnets de Plongée : Pirates!

accroche-pirates!

 Non, non, je ne fais pas comme les artistes. D’ailleurs, je n’en suis pas un. De ceux qui annoncent chaque fois leur « dernier spectacle » avant de revenir sur scène… Après mon cinquième petit bouquin je vous annonçais à la fin de celui ci que nous avions partagé ces récits ensemble et que l’aventure était terminée. Des problèmes de santé et une certaine nostalgie…
Francis Le Guen est venu me relancer pour faire partie de cette collection. Je n’en avais aucune envie. Mais, beaucoup de souvenirs engloutis dans ma mémoire sont revenus en surface. Je l’en remercie aujourd’hui en vous présentant PIRATES! que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire. J’espère que vous en aurez autant à le lire. Bien à vous tou(te)s !

Gabriel Di Domenico

Pirates : à Marseille, on les surnomme ainsi, les plongeurs dans mon genre. Parce que nous faisons systématiquement ce qui est interdit. Pêche en bouteilles aux oursins ou aux violets, récupération d’amphores grecques et romaines, trafics divers… Choqués ? Vous plaisantez… Pour nourrir les miens, je n’ai pas toujours eu le choix… Et puis je suis convaincu que l’on ne volait personne en arrachant à la mer les fruits de son jardin. Et certainement pas les Grecs ou les Romains, en récupérant leurs boîtes de conserve vieilles de deux mille ans ! À nos risques et périls…

Il y a peu de temps, un fou furieux est venu me tirer une balle de 44 magnum dans chaque jambe, me causant des blessures dont je souffre encore aujourd’hui. Dans quelle affaire pas très nette m’étais-je encore fourré pour qu’il m’arrive ce qu’on ne voit habituellement que dans les films de gangsters ?

Ce recueil d’histoires vécues n’est en aucun cas un guide des sites ou un manuel de plongée : les comportements et techniques décrits ne sont pas toujours des exemples à suivre… Voici un extrait d’un de chapitres du livre : accrochez vos ceintures ! 😉

Flics et voyous

La nuit est tombée quand je m’immerge dans les eaux glaciales et glauques du Vieux Port de Marseille. Avec une certaine angoisse : ne vais-je pas avoir un problème avec mon circuit fermé ? J’aligne bien ma chaîne et mes bouées et démarre le moteur de mes longues palmes. Mon objectif : la vedette des gardes-pêche. Nous avons un compte à régler…

Il y a toujours eu des ripoux… En 1720, le bateau le Grand Saint Antoine a amené la grande peste à Marseille, tuant des milliers de personnes. En ce temps là, les bateaux venant de l’étranger devaient aller en quarantaine au port du Frioul. Les affaires sanitaires y contrôlaient la cargaison, auscultaient les marins à l’hôpital Caroline et prenaient le temps nécessaire afin de contrôler qu’aucune maladie ne risquait de se déclarer. Mais le commandant du Grand Saint Antoine a soudoyé les autorités pour faire accoster son navire dans le Vieux Port, ce qui a déclenché cette catastrophe légendaire.

Oui, il y a toujours eu des ripoux. C’est d’ailleurs un fait divers repassé en boucle à la télé, celui d’un ministre luttant contre l’évasion fiscale alors qu’il avait lui-même un compte en Suisse de 600000 euros (une paille) qui m’a poussé à dévoiler, quarante ans plus tard, une autre affaire. Celle d’un garde-pêche…

Lui, c’était un « intouchable », au-dessus de tout soupçon… Avec ceux qui en croquaient avec lui, il avait monté un véritable racket et l’équipe de pirates du coin lui avait donné le sobriquet de gamelle (celui qui est capable de manger dans celle des prisonniers). Il poussait le vice jusqu’à laisser plonger les pirates dont je faisais partie ; pour ramasser coquillages, amphores ou poissons en pleine nuit et en plein hiver et ensuite nous ponctionner une grande partie de notre pêche ! Si bien que les langues allaient bon train :

– On va le faire péter avec une mèche courte !

– On va le faire sauter, lui, sa vedette et ses acolytes…

Il rétorquait aux bruits du port par le sempiternel « la loi c’est moi ». Il se prenait pour Louis le quatorzième, le seul roi qui ait mis les Marseillais au pli.

Quand il était en poste, cet enfoiré nous a donné pas mal de fil à retordre. Il m’a fait marron plus d’une fois, alors que j’avais du mal à nourrir ma famille. Cependant je n’ai jamais dit du mal de lui à qui que ce soit, je faisais partie des victimes résignées.

Et pourtant, combien de fois lorsque je le croisais, j’avais une envie folle de lui rentrer dans les plumes ? Avec la rage que j’avais, je pense honnêtement que j’aurais eu le dessus. De plus, il nous narguait. Ce n’était plus possible. En moi montait une colère indescriptible : il me vole, moi, donc, il vole ma femme et mon fils ! Et là, quand on touche à ma famille, je deviens un homme dangereux.

Mille et une représailles me trottaient dans la tête (la faim fait sortir le loup du bois)…

gabriel-di-domenico

Le plan

Petit à petit, j’échafaudais un plan. J’aurais besoin d’un circuit fermé. Je m’en étais déjà servi pour récupérer des pièces d’or près du parc à huîtres de Pomègues, une des deux îles du Frioul, au nez et à la barbe des découvreurs. Tout Marseille pensait qu’il s’agissait là du fameux « trésor de Rommel ». Si nous avions déclaré le butin, les Affaires culturelles ne nous en auraient pas donné grand-chose en échange. Tout ce qui est sous l’eau appartient à l’État. Ce n’est pas comme sur terre, quand on trouve un trésor dans une vieille maison, cela se discute… Voilà pourquoi tant de belles pièces ou de beaux objets quittent le territoire français. C’est ainsi ! Quand ils réviseront leurs positions, nos musées s’enrichiront de beaux objets !

Sans que les découvreurs le sachent, j’avais donc « ponctionné » de nuit dans ce trésor grâce à un « oxygers », troqué pour quelques gargoulettes à un nageur de combat. Ce scaphandre ne produit aucune bulle en surface. Avec une tenue de plongée noire, on devient alors pratiquement invisible, c’était bien là le but de la manœuvre. Cet appareil fonctionne à l’oxygène pur et il ne faut pas en principe dépasser six mètres de fond sous peine d’hyperoxie.

Mais ici, au Vieux Port, mon intention n’est pas de poser un explosif sous le bateau des autorités ! Pas question de mettre la vie d’un homme en jeu, fût-il gendarme, garde-pêche et pourri de surcroît. Mais je veux immobiliser la vedette pour un bout de temps, afin de pouvoir enfin bosser tranquille.

Bien sûr, il pourra toujours se faire prêter un zodiac par la douane, mais je ne vois pas notre maquereau se geler les valseuses, en pleine nuit et en plein hiver : trop précieux de sa personne. Il obtient un large surplus de sa paye sans forcer, uniquement en volant les pirates qui, eux, se donnent beaucoup de mal pour gagner leur vie. Il me reste, ainsi qu’à beaucoup d’autres, des rhumatismes de ces nuits froides passées dans l’eau glacée.

Mon plan ne serait pas long à exécuter, donc pas besoin d’avoir trop de chaux sodée pour fixer le gaz carbonique de la respiration. Il n’y a pas plus de cinq à six mètres d’eau au-dessous de la vedette des darlans : pas de risque d’hyperoxie non plus…

Il me faut aussi une bonne et lourde chaîne avec de gros maillons et une manille en acier forgé. Mais tout ceci est très lourd à transporter. Or il faut se mettre à l’eau loin de la vedette pour n’éveiller aucun soupçon.

Sous prétexte de refaire le mouillage de mon bateau, à cinq cents mètres à peu près de « nos amis les bêtes », j’allège ma grosse chaîne pour qu’elle flotte entre deux eaux à l’aide de nokalons, ces boules de pêcheur incompressibles jusqu’à une centaine de mètres. Je ne veux pas de ballon de levage variant à la pression de l’eau : il ne faudrait pas que ma chaîne et ses parachutes se retrouvent d’un seul coup en surface, ou coulent sur le fond et s’enterrent dans la vase ! Je passe ma journée à effectuer ma pesée pour avoir le moins d’imprévus possible.

Quoi de plus normal qu’un plongeur qui répare son mouillage avec une chaîne un peu surdimensionnée ? Pour mon petit bateau payé à crédit avec des traites à perte de vue. Des maillons de chaînes de vingt millimètres de diamètre (pas pour ancrer un paquebot mais quand même un gros remorqueur…). Huit mètres de chaîne avec des maillons pareils, ça pèse. Je règle tout mon matériel pour cette mission de fada.

Plongée de nuit…

Il me faut nager de nuit pendant cinq cents mètres, en remorquant à la palme mon engin de destruction massive. Pour bien repérer les quais et m’orienter sans me servir de ma torche trop lumineuse, je dispose de l’éclairage public qui laisse passer quelques halos lumineux dans l’eau sale du Vieux Port. Si j’ai un problème, je n’aurai qu’à remonter contre un quai, entre deux bateaux, sans qu’on m’aperçoive. Et je pourrai me repositionner. Donc pas besoin de tout l’attirail des nageurs de combats pour naviguer à la boussole.

Personne, et surtout aucun pirate, n’est au courant de ma jobardise. Personne au parfum, donc pas de fuites possibles : tout est préparé en solo. Car, qui dit complice dit risque de balances, qui, sur le port, se mettent à table volontiers. De façon à se défausser de leurs propres méfaits.

Le jour J est arrivé : plus d’hésitations. J’espère avoir tout bien calculé.  Quand on est seul pour monter une embrouille, on manque parfois de recul. C’est le sort de ceux qui prennent un risque seuls. Mais au moins, si cela ne fonctionne pas, on ne peut s’en prendre qu’à soi-même ! Les « je te l’avais dit », « il ne fallait pas que », « il aurait mieux valu »… Non, très peu pour moi.

Mon Dieu que le chemin est long ! Sous l’eau, tout seul avec moi-même, je prie la Bonne Mère de m’assister. Tout cela n’est pas très catholique mais je ne fais que défendre mon bifteck si durement gagné et celui de ma famille…

Plus de deux heures de palmage à traîner l’objet du délit. Je fais juste une petite sortie entre deux bateaux pour vérifier si ma route est bonne. C’est ok : je ne me suis pas trompé. Ça y est, je me trouve à l’aplomb de la vedette du garde-pêche. Petite émersion pour vérifier le nom et le numéro d’immatriculation. C’est le bon bâtiment. Je ne me serais jamais pardonné de faire un mauvais coup à un bateau de plaisancier.

– Mon beau, c’est bien toi avec tes grandes hélices, tes arbres et à l’autre bout, deux moulins de quatre cents chevaux turbo très puissants… À nous deux, camarade syndiqué… Je vais te faire une gâterie dont tu me diras des nouvelles. Tes méchantes pales d’hélices, ma copine la chaîne va en faire de la dentelle de Calais !… Mais je ne pouvais pas prévoir ce qui allait arriver…

(Lire la suite ?)

Boum

Découvrez beaucoup d’autres histoires vécues dans les autres livres de la collection Carnets de Plongée chez Glénat : NARCOSES. TRESORS et GEANTS. PIRATES! en librairie à partir du 27 novembre 2013. Commander chez Glénat, Fnac.com

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Publié le Nov 16, 2013

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9 Commentaires

  1. Le Vieux scaf

    C’est du Dido et ça va faire mal !
    Surtout au garde pêche en question !
    Dans Gaby il y a du James Bond et aussi un peu de SAS, le tout à la sauce marseillaise, en fait un aîoli provençal.
    Quand aux « Pirates » dont il parle si bien son analyse est parfaite sur la récupération des « biens nationaux »
    Tout pour l’état…rien pour le plongeur.
    Alors il ne faut pas être surpris des résultats

    Réponse
  2. Denis

    J’ai hâte de lire ça.

    Réponse
  3. Michelle

    Nos décénnies d’amitiés restent fortes. Tes fresques de plongeur « Pirates » sont de la nieunotte à côté de ce qui se passe aujourd’hui sur notre région. Ganster ! non, tu ne l’es pas ; Gentleman ! oui + également responsable et friand de justice sociale …………………
    Bizzzzzzzzz MY

    Réponse
  4. Solves

    J’ai voulu cliquer sur « lire la suite ? »…pas sympa de nous mettre l’eau (salée) à la bouche comme ça. Attendre le 27 ? Comment faire ?
    @mitiés.

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  5. Bernard Sapin

    Moi, c’est bien simple, à chaque fois que je veux faire un cadeau, j’offre un livre de Gabi.

    Je suis sûr de faire plaisir.

    Sacré Gabi. Tu nous régales.

    Amitiés.

    Bernard

    Réponse
  6. Martial Ferré

    Moi j’avais déjà lu toute la collection du « Têtard » … (Le têtard vous salue bien, Le têtard et la Calypso et Io Dido !).

    J’ai hâte de lire ce nouvel opus !:)

    Merci et à très vite !

    Martial

    Réponse
  7. Mimi le muge

    Dido, comme on dit à Marseille « t’yé un fou » et c’est pour cela qu’on t’aime; Tes histoires (tu m’en a racontées et j’en ai lues pas mal) on s’en régale; alors merci pour ce nouveau bouquin qui sans aucun doute va régaler nous tous qui en bons amoureux de la mer, plongeurs, apnéistes sommes un peu pirates et « à fond » avec toi.
    affectueusement,
    Mimi

    Réponse
    • Francis Le Guen

      Merci Mimi
      de ces louanges méritées que je transmets à Gaby.
      PIRATES! est un bouquin formidable.

      Réponse

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