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Carnets de Plongée : je n’ai plus d’air… Pour de vrai !

Pour patienter jusqu’au 5 septembre, date à laquelle cette nouvelle collection Carnets de Plongée sera disponible en librairie, j’ai décidé de publier ici quelques extraits de ces livres ainsi que d’autres textes qui n’ont pas été retenus dans la sélection finale. Bonne lecture !

Comme promis, voici cette fois un « texte intégral ». Ne concernant pas directement la thématique de « Narcoses« , vous ne le retrouverez pas dans le livre : je vous l’offre ! 🙂

Le récif aux requins

Ras Mohammed… Moins 32 m dans un courant de folie ! Nous commençons enfin le premier tournage des Carnets de Plongée par le plus célèbre site de Ras Mohammed : Shark Reef, le récif aux requins. Ani, l’un des rangers plongeurs du Parc National nous guide. Le bleu profond nous happe dans son obscure clarté et nous filons dans le courant, libérés de la pesanteur et des soucis de « ceux d’en haut »…

C’est une plongée difficile : le courant est trop fort pour qu’on puisse le remonter à la palme mais c’est pourtant ce que nous tentons de faire plusieurs fois, pour au moins ralentir et saisir dans le bon axe l’incroyable densité de poissons pélagiques. Le jeu consiste à me trouver avec Ani dans le champ de la caméra de Jeff, au milieu des poissons, tout en étant éclairé par Patrick. Un numéro de chaise musicale…

Proches de l’essoufflement, dans le cafouillage inhérent aux équipes qui se cherchent aux première heures d’un tournage, nous nous laissons glisser de guerre lasse le long de la falaise sous-marine où fleurissent les palmiers roses fluo des coraux mous et ouvrons grands les yeux : ici, chaque été depuis que le monde existe, des centaines de bancs de poissons se rassemblent où les courants s’embrassent ; s’effaçant à peine pour nous laisser le passage…

Une sirène de peau lisse…

Malgré mes nombreuses plongées en Mer Rouge, je n’étais jamais venu à Sharm El Sheikh et il m’avait semblé naturel de proposer cette destination très populaire pour débuter la série. Mais je ne m’attendais pas à la rencontre que nous allions y faire… Depuis quelques minutes, tandis que le tombant de Shark Reef continue à défiler, Ani ne répond plus, le cou tendu vers le bleu, imité par mes deux compagnons… Et alors, je la vois : une plongeuse entièrement nue à l’exception d’un masque, de palmes, d’une bouteille sans stab, et sans doute (quand même) d’un string fondu dans sa plastique de rêve ! Elle dérive dans le bleu, encadrée de ses deux compagnons, deux poissons pilotes bardés de gadgets dernier cri et le contraste n’en est que plus saisissant… Un autre bateau a du larguer à cet endroit cette singulière palanquée italienne, ce qui donne tout de suite le ton de ce que signifie plonger à Sharm : des décors sous-marins superbes et souvent préservés, mais une fréquentation record. Je n’ai jamais vu autant de plongeurs que lors de ce premier tournage !

Aujourd’hui, une sirène mais pas de requins : ils sont bien trop profonds. Mais on raconte qu’on leur doit la création de la réserve… L’histoire commence avec la venue de Sylvia Earle, grande océanographe américaine, dans ces eaux bleues du Sinaï : elle dénombra tellement d’espèces de requins que le soir même, invitée à un cocktail présidentiel, elle s’en ouvrit à Anouar El Sadate, le suppliant de classer le site. Le sage président lui répondit : “ d’accord, à condition que vous fassiez plonger mon fils afin d’en faire un homme! ». L’enfant plongea, les requins ne le mangèrent point, et le site s’ouvrit au reste du monde en tant que Parc National…

Panne d’air dans les toilettes

Le lendemain, nous refaisions cette plongée. En effet, un programme comme Carnets de Plongée nécessite dix fois plus de « rushes » que ce qui sera monté au final. Encore 1h30 de bleu plein les yeux.

A priori, je suis un plongeur expérimenté mais je vais découvrir ce jour là à mes dépends que je suis aussi devenu un « animateur de télé », ce qui fausse complètement la donne… Vers la fin de la plongée, limité en air depuis un moment, je respire avec une paille. Nous avons en effet passé pas mal de temps au niveau des toilettes du Yolanda, une épave sans grand intérêt chargée de matériel sanitaire, qui plait pourtant beaucoup aux plongeurs et, pour la caméra, je me suis appliqué à faire de belles bulles…

Et puis, un gros mérou tacheté, carnassier taillé pour la chasse, nous fait la grâce de ses virevoltes devant l’objectif : un cadeau qui ne se refuse pas… Autant l’avouer tout de suite, afin d’optimiser les séances de prises de vue sous l’eau, nous sommes conduits souvent à tirer un peu sur la réserve. En bref : faites ce que je vous dis mais surtout pas ce que nous faisons !

Cette fois, l’air n’arrive vraiment plus et nous sommes encore dans les 25 mètres. Je suis tranquille : le moniteur « du jour » chargé de notre sécurité est légèrement au dessus de moi. Bras croisés, immobile, vertical dans le bleu, regard blasé sur la scène : en lévitation… Attitude qui a le don de m’horripiler mais, au moins, je suis sûr qu’il a de l’air à revendre ! Je m’approche et lui fait le signe « plus d’air », afin de remonter tranquillement à deux. Il me regarde alors fixement avec des yeux ronds de baliste endormi dans son cocon… Je réitère mon signe « de détresse » (ce signe est censé provoquer une intervention immédiate…) : toujours aucune réaction. Une troisième fois, alors que j’aspire ma dernière goulée d’air « au forceps » : je vois alors ce grand blond avec ses palmes noires me tourner le dos et se sauver vers la surface ! Bientôt suivis par mes équipiers déjà hors d’atteinte, lestés du matériel de prise de vue et d’éclairage et qui ignorent superbement mes gesticulations à la hauteur de ma glotte. Mais il ne me voient donc pas ?

Je n’ai plus d’air !

Et puis je comprends soudain la terrible méprise et la solitude du « plongeur-acteur ».  Mes collègues, habitués à ma faible consommation d’air, croient que je répète un plateau sous-marin ! Ils pensent que je « joue la comédie »… En fin de cassette, ils me font même le signe « fin de tournage » et remontent sans se poser de questions alors que je commence à prendre la couleur du Bernard l’Ermite !

A moi donc, les joies de la remontée en apnée (en expirant, naturellement)… Mais j’émerge loin du point de récupération et me fait drosser assez sévèrement par la houle jusque sur un banc de corail qui m’emprisonne de toute part. Entre deux tasses, je parviens à me mettre debout sur le récif pour enfin échapper aux rouleaux et signaler ma présence, m’ouvrant le pied au passage. Bain de sang ! Ma combinaison « de scène », toute effilochée, ressemble maintenant à celle d’un trappeur du Far West et je ne suis pas fier d’avoir infligé quelques dégâts au récif…

L’équipe se rend finalement compte qu’elle a perdue l’animateur et un Zodiac vient me chercher avant que je ne prenne littéralement racine sur le platier.

Moralité : quand on vous fait un signe de plongée, réagissez, c’est pas pour la télé ! Et ne « tirez » jamais sur l’autonomie…

 

Découvrez beaucoup d’autres histoires dans le premier volume de la collection Carnets de Plongée chez Glénat : NARCOSES. En librairie à partir du 5 septembre 2012. Commander chez Glénat, Fnac.com ou directement sur Amazon.fr ci-dessous.

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Publié le Août 24, 2012

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7 Commentaires

  1. Philippe

    Super ! Merci pour ce récit.
    C’est vrai qu’en plongée il faut mieux s’alerter pour rien que de ne pas venir en aide.
    J’ai déjà vu un cas dans le même genre, mais c’était une personne qui voulait toujours plaisanter sous l’eau. Elle n’était jamais sérieuse jusqu’au jour où ce n’était plus pour plaisanter. Mais personne ne voulait prêter attention jusqu’au moment où il à changer de couleur. Mais c’était à deux doigt que ça tourne mal…
    Depuis je préfère arrêter une plonger prématurément plutôt que de risquer un accident. Quitte à m’expliquer sérieusement arrivé sur le bateau.

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    • Francis Le Guen

      Merci Philippe !
      C’est l’histoire de Pierre et le loup 😉

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  2. Anthony Leydet

    Bah… j’y suis repassé il n’y a pas longtemps… Pas de sirène italienne ! 😉

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    • Francis Le Guen

      Tu n’as pas bien regardé ! Ou plutôt, à force de loucher sur des trucs microscopiques, tu n’accommode plus dans le bleu… 😉

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  3. Myriam (Leydet)

    J’adore demander aux plongeurs expérimentés leurs pires expériences « plongistiques » pensant pouvoir m’inspirer en cas de problème! J’ai hâte de lire la suite! J’avais déjà fait plusieurs apnées lors de la lecture des scaphandriers du désert, je sens que je vais faire des progrès grâce à Narcoses:) Oui d

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    • Francis Le Guen

      Merci Myriam de ton commentaire. Cette expérience n’est pas la pire (loin s’en faut !) mais je pense en effet que de semblables anecdotes peuvent aider les plongeurs, confrontés un jour aux mêmes problèmes…
      Quant à NARCOSES, j’ai bien peur que tu n’ailles cette fois un peu plus loin que l’apnée… J’ai été beaucoup plus « profond » dans les récits et c’est quelquefois… très dur…
      Mais on rit beaucoup aussi, allez, on ne se refait pas ! 😉

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  4. Marion

    Merci pour cet extrait! quelle histoire!! bravo à vous, vous vous en êtes superbement sorti… c’est fou ça! on fait pas ce genre de blague sous l’eau, ah, j’ai eu peur en vous lisant!! impatiente de lire le livre…. 😉

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