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Le Trou Madame. Une source près de… Toulouse !

En procédant à un peu de classement parmi les milliards de textes qui encombrent mon disque dur, je suis tombé sur cette relation de notre plongée de pointe au Trou Madame qui date de… 1979 ! 😉
Son obsolescence « délicieuse » m’a donné envie de le republier. A l’origine, ce texte avait été écrit pour la revue de la Fédération « Etudes et Sports Sous Marins », devenue Subaqua… Cette source située à 1h30 au Nord de Toulouse est devenue depuis une classique… Bon, le texte est un peu long et plein de défauts mais reflète bien l’ambiance des plongées de l’époque et notre motivation…

Le mirage bleu

L’exurgence du Trou Madame, et non “les urgences du trou de Madame” comme nous l’avait fait remarquer un petit plaisantin, est une émergence péreenne qui s’ouvre près de Limognes dans le Lot, un département déjà riche en longues cavités noyées. En 1977, une forte équipe de plongeurs de la FFESSM (Fédération française d’études et de sports sous-marins) reconnaissait 1400m de galeries noyées entrecoupées de rivières exondées. Peu après, une équipe grenobloise prolongeait le siphon n° 8 de 200m, ce qui portait le développement noyé à 1600m. C’était alors le record d’Europe. Vu la grande profondeur atteinte (moins 32 m) et l’infrastructure importante à mettre en œuvre, la poursuite de l’exploration semblait impossible.

En Juillet 1979, nous relevons le défi : Jean Sorin, chimiste de 21 ans, Hervé Lefebvre, chimiste, 24 ans, Thierry Tonnelier, étudiant chimiste, 21 ans, Eric Le Guen, 20 ans, pianiste et Francis Le Guen, 23 ans, photographe, faisant équipe depuis près de 5 ans au Spéléo-Club de Paris, décident de prolonger la cavité en 4 raids successifs de week-end (1000 km aller-retour). Le projet était ambitieux : aucun de nous n’avait dépassé 800m en siphon, et les problèmes étaient de taille : l’eau à 12°, la profondeur, l’équipement en fil à refaire, le matériel énorme à prévoir. Il semblait cependant qu’en utilisant le principe des camps himalayens (plusieurs plongeurs de soutien pour un plongeur partant en pointe) et avec beaucoup de punch, nous réussirions…

Au cours du premier week-end, nous réalisons une première série de photos et rééquipons les quatre premiers siphons en fil d’Ariane (720m). Une semaine plus tard, je pars accompagné de Jean, pour continuer l’équipement et tenter une pointe. Malheureusement, ma combinaison étanche de taille spéciale, n’est pas arrivée de Marseille. Je plonge quand même en combinaison humide. Nous emportons 9 bouteilles. La plongée durera 5 h et j’atteindrai ce jour là mes limites physiques. Mais l’équipement est refait, et j’ai rajouté 180m au terminus dans le siphon 8 (parcours noyé total : 3600 m). Après quelques heures de sommeil, nous replongeons tout les cinq pour continuer le reportage photo. La semaine suivante, nous testons le nouveau matériel qui nous a été prêté : vêtements étanches, compresseur, scooter sous-marin… Enfin, le quatrième week-end, nous étions sur place, très fatigués, avec une équipe de télévision et 600 kg de matériel. 18 bouteilles totalisant près de 40 m3 d’air étaient engagées pour la pointe. Il était prévu qu’Hervé et Thierry s’arrêtent dans la cloche d’air des 720m (après le S5). Jean, au point 920 (derrière le S7). Eric devait m’accompagner dans le S8, sur 400m. Je devais poursuivre seul, à partir du point 1400, muni de 5 bouteilles… Au terme de 9h30 d’exploration, dont 6h30 en plongée, nous achevons une randonnée souterraine de 5820 m, dont plus de 5 km de galeries noyées. Des images nous restent…

La plongée

22m de profondeur !… Au dessus de ma tête, des centaines de mètres de rocher ; sous les palmes, quelques dunes d’argile grège, des plages de sable nacré et quelques blocs de calcaire blanc, rongés par une eau bleue qui noie tout. Je nage pour l’instant dans un interstrate. Le silence est millénaire. Seule compagnie : le gargouillement de bulles d’air qui s’échappent périodiquement et se rassemblent sous les voûtes en petites flaques de mercure, à la recherche de la surface perdue. Il y a longtemps que j’ai abandonné la bi-bouteille ventrale de relais. Longtemps aussi que je déroule le fil d’Ariane dans l’inconnu.

Les paysages que mes lampes illuminent à chaque coup de palmes, nul homme ne les a contemplés avant moi ! Voilà qui récompense de bien des sacrifices pour arriver jusque là. La galerie débouche soudain dans une vaste salle noyée. La transparence de l’eau est extraordinaire. Le faisceau des lampes se perd dans un dégradé d’indigos. Un coup d’oeil à mes instruments : montre, profondimètre, décompressimètre, manomètres ; cela fait des heures que mes jambes me propulsent dans ce tunnel tortueux, à la rencontre d’un au-delà qui se dérobe sans arrêt. Je prend conscience de l’horrible et du merveilleux de la situation : petit globule dans les veines de la terre…

Le conduit, en montagnes russes, oscille entre -22 et -6 m ; un nouveau caprice de la caverne qui m’oblige à purger et regonfler sans arrêt mon vêtement sec pour garder un semblant d’équilibre. Soudain, les voûtes se perdent dans le bleu et une rampe de sable clair monte… Monte vers… Une surface ? Est-il possible que cette caverne noyée devienne caverne tout court ? Est-il possible de franchir ce siphon géant ? Mon rythme cardiaque s’accélère. -10m… -5m… Je crève une surface et bascule dans une cataracte de sons et de ténèbres. Quelque part dans le noir, une cascade s’effondre et déchire mes oreilles trop longtemps baignées de silence. Mon coeur tambourine. Les lampes accrochent enfin des parois ocres puis un plafond, très haut, et une rivière blanche d’écume, qui cascade de ressauts en ressauts. C’est un canyon de 25m de haut pour 6m de large.

Condamné à la pesanteur, je m’extirpe de l’eau et m’effondre haletant sur une dune de sable immaculé. Je décapèle la tribouteille et tout ce qui la rattache à moi, baisse le masque sur le menton, et respire un air frais qui a goût de terre mouillée. J’amarre le fil d’Ariane sur un becquet, ôte les palmes et me redresse. Je chancelle et me retrouve à genoux dans l’eau : je ne sais plus marcher ! Plusieurs minutes me sont nécessaires pour retrouver un équilibre basé sur la verticale. Encore hébété, je me dirige vers l’amont, laissant sur des mottes d’argile séculaires, les premières empreintes d’un pas humain. 60m plus loin, je suis arrêté devant une vasque immense et bleue. La rivière provient d’un neuvième siphon : il faut replonger !… Revenu chercher mon matériel, je traîne les 50 kg d’acier de la tribouteille sur des patinoires d’argile ou des dalles branlantes et déchiquetées. Noyé dans ma propre vapeur, la solitude me serre la gorge…

Une douleur fulgurante au mollet gauche : la crampe me plie en deux. Le vacarme de la cascade toute proche couvre mes cris dérisoires. Peu à peu la douleur s’éloigne et je relève le défi. D’abord alléger le scaphandre. Il faut détendre les sangles à cliquet,  désaccoupler les détendeurs et les manomètres, ôter une des bouteilles, retendre le tout sans se coincer les doigts, et ne rien perdre dans le torrent ! De plus en plus exténué, j’effectue les gestes mécaniquement, en les ponctuant de jurons et de plaintes sans auditeurs. Les bouteilles chargées sur les épaules, j’entreprends l’escalade de la cascade. Elle chute de 2m entre des murailles de marbre rose veiné de blanc. Les doigts crochés dans le rocher, les pieds en opposition, la peur au ventre, je m’élève. L’eau ricoche sur le casque et m’habille d’écume. Un ultime rétablissement et je me retrouve au sommet de l’obstacle, haletant dans ce vêtement étanche où j’étouffe…

J’aspire une grande bouffée de silence et glisse dans le neuvième siphon. Moins 15 m. La roche est noire, déchiquetée, inquiétante. A mon passage, de larges nappes d’argile se soulèvent en nuages opaques : le pollen mouillé des siphons qu’on déflore… Je viens de passer le nœud des 200 m sur mon dévidoir et aborde une zone de roche concassée. Bientôt, un énorme éboulement trépane la voûte et obstrue toute la galerie. Je ne veux pas y croire et inspecte chaque interstice du chaos. Je suis arrêté. Seule l’eau glacée filtre à travers les cailloux broyés, transportant en son sein le secret bien gardé de son origine. En me retournant, je découvre un phénomène extraordinaire : des centaines de fines coulées d’argile descendent des plafonds, lentement, et s’épanouissent en arborescences irréelles. Ce sont les bulles d’air qui en traversant les voûtes ébouleuses, ont dérangé des sédiments assoupis. Pendant quelques instants, je reste fasciné par les germinations ambiguës de ce jardin de Pluton : stalactites immatérielles qui rejoignent le sol en explosions silencieuses, digitales d’ocre diaphanes, contaminant peu à peu l’eau claire. Je m’arrache au sortilège et amarre le fil sur un bloc. Mi déçu, mi satisfait de m’arrêter sur quelque chose d’infranchissable. Un rapide calcul : je suis à 2910m de la lumière du soleil dont 2510m de siphons…

Dernier maillon de la chaîne qui m’a mené jusqu’ici, j’entame le long retour en aveugle, me guidant sur le fil de nylon. Près de deux heures de plongée en eaux troubles avant de retrouver Eric et Jean…

A 1310m de l’entrée de la grotte, dans une salle émergée, Eric Le Guen et Jean Sorin attendent.. Et racontent :

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le Trou Madame sans jamais oser le demander…

« Dimanche 22 Juillet 1979, 3h du matin… De l’eau a pénétré dans mon vêtement “sec” et le froid commence à se faire sentir. Nous nous allongeons sur un énorme banc d’argile et parlons quelques minutes, toutes lampes éteintes. Le sommeil nous gagne… C’est le froid qui me réveille. Nos yeux se posent aussitôt sur une lueur verte au fond de la salle. Francis sur le chemin du retour ? Ce n’est que la phosphorescence de ma montre posée à quelques mètres de nous ! Je jette un coup d’œil aux aiguilles : voilà 2h30 qu’il est parti. Nous avons dormi plus d’une heure ! Jean me regarde, consterné : nous n’avions pas envisagé une telle attente…

Un rapide calcul me rassure : en siphon nous ne parcourons guère plus de 20 m à la minute. Pour dérouler les 900m de fil emportés, Francis doit palmer durant 1h30, sans  compter les 700 premiers mètres de galerie déjà équipés dans ce siphon n° 8. En tout, une plongée solitaire de 2h40. Cependant, jamais aucun plongeur n’a réalisé une telle pointe… Nous nous regardons souvent, sans rien dire. Deux tâches de vie prises au piège entre deux verrous liquides : d’un côté, plus d’un kilomètre de galerie noyée avant de voir le jour, de l’autre : l’inconnu.

Les pensées les plus folles nous traversent l’esprit. Et s’il était arrivé quelque chose ? Égarement en eaux troubles, narcose en profondeur, défaillance technique, coincement en quelque étroiture, à moins d’une chute dans une salle inconnue entre deux siphons ou il doit porter seul ses 5 bouteilles…

Le froid devient insupportable. Nous sautons sur place pour nous réchauffer. Dans d’autres circonstances, la scène serait risible, mais aucun de nous n’a la force d’esquisser un sourire. Inconsciemment, un plan de spéléo-secours de plus en plus noir s’ébauche dans ma tête. Peu de plongeurs peuvent arriver jusqu’ici. Réaliser une sauvetage dans le huitième siphon serait utopique…

3h40… Toujours rien ! La surface du lac reste figée. Notre deuxième nuit sans sommeil s’achève. L’esprit vagabonde, les souvenirs de ces derniers jours affluent…

Les préparatifs : courses folles à travers Paris. Études de consommation d’air, de lumière. Téléphone ininterrompu. Panne du compresseur. Le matériel qui s’entasse, prêté par des gens qui nous ont fait confiance : les Hommes Grenouilles de Paris, le Club Alpin Français, la Comex, Nikon… Vendredi 20 Juillet, minuit : lancés sur la route de Cahors, nos deux poussives estafettes, deux photographes et cinq plongeurs du CAF et du comité plongée souterraine Île de France. A pied d’œuvre, le lendemain matin. Le soleil boit déjà la rosée au parfum de menthe sauvage. Dans l’étroite clairière, on croise tour à tour Thierry submergé de colis, Hervé crispé sur un détendeur qui fuit, un preneur de sons bardé de micros, Jean qui lutte avec un sanglage défectueux. Les cameramen et photographes sont partout : j’en surprend un perché dans l’arbre où est accroché le tuyau d’aspiration du compresseur : perspective osée… On enjambe pêle mêle un bidon d’essence, un pantalon au pli défraîchi, une rutilante caméra sous-marine, un bouquet de lampes étanches, une débauche d’appareils photo, de câbles, de fils, et par dessus tout ça, on crie, on court, on s’affaire, évitant l’accessoire de prix mais écrasant la fraise sauvage. La journée s’écoule en préparatifs. Un repas rapide et nous nous allongeons pour quelques heures d’un sommeil agité.

Samedi 22h. Tout au long du ruisseau encaissé qui mène à la cavité s’étale la cohorte des porteurs : 18 scaphandres, autant de détendeurs et manomètres, casques éclairant, torches, 3 vêtements secs, 2 humides, un “locoplongeur”, et de multiples sacs bourrés d’accessoires. Jamais une plongée souterraine d’une telle complexité n’a été tentée…

La grotte : gueule béante et noire, surmontée d’une perruque de verdure. Un chêne téméraire s’est piqué dans son front. Le ruisseau qui s’en échappe, banal pour certains, a dans nos yeux un passé de caverne. Sa voix cristalline nous lance un défi. Dans un fracas de cailloux, hommes et matériel dévalent l’éboulis. Il y a au moins dix personne dans cette galerie basse où il faut se tenir courbé, sous les spots 300 watts et les éclairs de flash. Toute l’équipe est à l’eau et met la dernière main à son équipement. Une fuite importante se déclare au niveau de mon inflateur de vêtement. Je le démonte : c’est la catastrophe que nous redoutions tous depuis ce matin ! Il manque un joint, de diamètre spécial. Francis et l’éclairagiste de la télévision se précipitent hors de la grotte et reviennent bientôt avec un joint de Nikonos et un de caméra. L’un des deux s’adapte !

Minuit. Le “locoplongeur”, tel une fusée jaune d’or, se tient prêt à partir pour la face cachée de la terre. Francis compte l’utiliser sur les 1000 premiers mètres de siphon, économisant ainsi de l’air et de la fatigue. Il partira 30 minutes après nous. Dans de monstrueux clapots répercutés par les voûtes, nous plongeons, les bras chargés de bouteilles-relais.

Je progresse dans une galerie annelée. Il n’y a plus de fleurs ni de chants d’oiseaux : rien que de la pierre. Mais avec les pierres, on fait des cathédrales. Celle que nous traversons est taillée dans le jade, l’émeraude. Loin devant, Jean, Hervé et Thierry se détachent en ombres chinoises sur des halos de saphir. 700 m de l’entrée, le faisceau des lampes allume sous la voûte mille et une pépites d’or : nous émergeons dans une vaste cloche d’air. C’est là que s’arrêtent Hervé et Thierry. Nous poursuivons vers l’amont. Les paysages souterrains se succèdent. Nous laissons sous les voûtes un sillage de bulles d’air. 1300 m : Nous émergeons dans la plus vaste galerie exondée du Trou Madame, 150 m de long. Nous avons franchi les 7 premiers siphons… Un curieux bruit emplit soudain la grotte : un zezayement de gros bourdon ? Nous nous retournons pour voir crevant l’eau noire, le nez orange du “locoplongeur” suivi d’un spéléonaute ruisselant…

Porteur d’une ultime bouteille de relais, je m’enfonce à la suite de Francis dans le huitième siphon que je dois parcourir sur 400m. C’est une étroite crevasse, en méandre. Les couches horizontales‚ de calcaire, alternativement blanches et noires, la font ressembler à un monstrueux gâteau fourré… Je m’arrête bientôt et regarde Francis s’éloigner puis disparaître à un coude de la galerie. Seul. J’attends que le reflet mouvant de ses lampes se soit estompé avant de faire demi tour. J’ai tôt fait de rejoindre Jean, et nous nous installons pour une réfrigérante faction…

L’éternel retour

Soudain, un bruit de bulles transperce le silence, et un rai de lumière verte balaie la voûte plongeante ! Instantanément debout, nous nous administrons de sauvages claques sur les épaules tout en hurlant des obscénités libératrices. Après 20 minutes de palier, Francis émerge. Nous l’aidons à sortir de l’eau avec ses six bouteilles. Mes yeux se fixent aussitôt sur les trois dévidoirs qu’il porte à la ceinture : vides ! Il reste seulement quelques spires sur l’un d’eux ! Sa lèvre inférieure est déchirée et bleue de froid… Les embouts de détendeurs. Le souffle court, posé sur un rocher, il nous relate son aventure…

C’est la réussite totale, inespérée. Mais voilà près de 8 h que nous sommes sous terre. Nous pensons à Thierry et Hervé qui attendent dans la cloche des 720m. Pour eux, l’épreuve doit être terrible : ils n’ont pas de vêtements secs… Livrant une véritable course contre la montre, nous portons les scaphandres jusqu’au septième siphon. Plusieurs voyages sont nécessaires. Nous trébuchons d’incalculables fois dans la rivière, sentant des lames de pierres acérées traverser le néoprène de nos vêtements. De l’eau à mi-corps, nous nous apprêtons pour la dernière plongée, celle qui doit mener au jour. L’attache d’une de mes palmes cède soudain. Je repêche in-extremis la sangle de la boucle chromée dans l’eau trouble et rafistole le tout. Francis ne dit rien, adossé à une paroi. Il glisse et s’affale dans la rivière, inerte ! Jean le rattrape de justesse et le secoue : Il s’était endormi ! Voilà deux nuits que nous n’avons pas fermé l’œil : Il faut sortir vite, très vite…

Nous plongeons. Soudain, le ronronnement du scooter baisse puis s’arrête : c’est la panne ! Francis continue à la palme, en poussant l’engin désormais encombrant.

Je crève une surface argentée derrière laquelle nous n’espérons plus retrouver nos coéquipiers. Sur un banc d’argile, les deux bouteilles de relais attendent. Seules, gravées dans la glaise, les empreintes d’Hervé et de Thierry témoignent du combat bien inégal contre le froid, l’angoisse et la solitude… Véritable sherpas de l’ombre, nous nous traînons jusqu’à l’eau, encombrés de deux bouteilles supplémentaires et reprenons notre “nage forcée”. Les premières hallucinations nous assaillent : je vois des poissons multicolores qui détalent à chaque coin de rocher ; Francis me dira plus tard qu’il entendait des voix de femmes l’appelant par son nom !

Tous les muscles sont douloureux, bras, jambes, mâchoires. Jusqu’aux poumons fatigués de pulser cet air en bouteille qui a un goût d’usine. L’émotion de la découverte est passée, notre progression désespérément lente ne cesse de m’inquiéter, d’autant plus que Francis, encadré par Jean et moi, semble avoir du mal à suivre.

Littéralement saoulés de visions d’outremer, nous n’aspirons plus qu’à sortir de ce piège, où tout peut encore arriver. A ôter ces pelures de caoutchouc qui écorchent les articulations. A se rouler sous le soleil dans une herbe encore humide d’aurore… Jean, déséquilibré, se retourne soudain et file pieds en l’air vers la voûte. Il se tortille désespérément comme une larve de moustique, en essayant de purger le vêtement. Dans une explosion de bulles d’argent, il coule comme une pierre.

Une cohorte de lueurs mouvantes planent dans la nuit éternelle. Casques contre palmes, doigts qui glissent sur le fil, regards mouillés, fatigués, noyés de bulles. Une chorégraphie lente et froide. La fuite du temps… J’aperçois la surface libre ! Bientôt frissonnante sous nos respirations conjugués : Nous achevons une plongée de 9h30. Le cœur serré par l’émotion, nous émergeons. Silence et obscurité. Puis, au loin, une lampe s’allume, puis deux, dix, tandis qu’une formidable ovation fait vibrer la caverne… Nous retrouvons tous les participants de l’aventure. Notre joie se reflète dans leurs yeux : nous venons de battre un record mondial, avec plus de 5 km de galerie noyée. Des micros se tendent, les flashes crépitent, du champagne coule à flots, dégouline sur le matériel et rejoint l’eau de la source en un cocktail symbolique…

La procession débouche enfin dans la lumière du petit matin, les regards brillants de souvenirs en forme de rêve. Ravis d’avoir vécu, dans le flot de la rivière souterraine notre nuit la plus longue ; une nuit qui n’est pourtant qu’une goutte de temps dans l’océan des millénaires… »

© Eric et Francis Le Guen – Juillet 1979

Les médias

Je n’ai pas retrouvé le film que nous avait consacré TF1 et qui était passé à l’époque dans le journal de 20h présenté par Roger Gicquel 😉
Voici donc une vidéo plus récente pour voir à quoi cela ressemble…

Et pour finir cette séquence « retro » voici l’article paru dans l’hebdo La Vie. Nous étions jeunes et beaux ! 🙂

 

Publié le Sep 11, 2012

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2 Commentaires

  1. C. Dei

    Absolument rien à voir avec Bourg-Madame sur la route du ski dans les Pyrénées (dont les habitants sont appelés… ??? les Guinguettois)

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