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La bouteille à la mer

A l’occasion d’un peu de classement, je suis retombé sur une rubrique publiée dans feu Plongée Magazine. J’ai écrit tant de papiers pour tant de journaux que j’en ai perdu le compte… J’aurais mieux fait d’écrire des livres. En tous cas, au vu de son intemporalité, je vous le ressers ici. Pardon pour le dérangement 😉

Nous venons d’achever une plongée profonde sur l’épave d’un certain avion, au large de St Tropez… La mer calme reflète le soleil orangé de l’hiver. Je suis sur le bateau d’un archéologue, trop célèbre pour être cité, qui vient de terminer une canette de bière au goulot. Considérant avec un rien de compassion la bouteille vide, verte comme une émeraude, voilà qu’à ma grande surprise, l’illustre chercheur la jette par dessus bord !

La bouteille à la mer dodeline un instant dans le clapot, bois la tasse et coule par le fond, lâchant quelques bulles posthumes, rondes comme mes yeux.

– Mais enfin, tu pollues la mer ? Dis-je, estomaqué. Pour un archéologue…

– Très cher, je ne pollue pas : j’ensemence. Pour les générations futures… d’archéologues sous-marin, justement !

Sa réponse me laisse séché sur place. Mais, en y réfléchissant… Car finalement, que sont les amphores, les «cruches» comme on les appellent à Marseille ? Des cruches, justement ! Des bouteilles. Des emballages non recyclables venus des temps anciens. Et l’idée qu’on soit passible des tribunaux, des jeux du cirque même, pour avoir collecté des amphores non consignées au fond de la mer ferait sans doute beaucoup rire les négociants de Rome la décadente…

Cette bouteille de bière confiée à la mer constituera-elle l’amphore du 4eme millénaire ? Quand finit la pollution des fonds marins et où commence l’archéologie sous-marine ? Car c’est un fait que les fonds jonchés de bouteilles, de pneus et de débris divers font parfois la joie des photographes sous-marins tant ils sont colonisés rapidement.

La réaction de l’archéologue m’a en tout cas montré une chose : ce n’est pas l’objet qui fascine, mais l’enquête qu’il suscite. Chez tout archéologue est un flic qui sommeille… Il me vient d’ailleurs parfois l’idée de poser des colles à d’hypothétiques chercheurs du futur. Quelles énigmes géologiques insolubles susciterait la découverte d’une géode d’améthyste récoltée au Brésil et abandonnée sous l’eau dans la craie de Normandie ?

Il en va de même des épaves : doit-on parler de bienfait où de pollution ? Ces tas de ferraille qui rouillent au fond des eaux sont-ils bien «écologiques» ? La fascination des épaves ne révèle-t-elle pas d’ailleurs une préoccupation un peu mortifère ? Et comment faire la différence entre une épave vénérable, trésor historique, un récif artificiel, ou un pétrolier  malchanceux qui pisse son brut par tous les trous ? Question de temps ? Le temps qui efface tout, dit-on, mais qui surtout valorise, thésaurise…

«Je ne taggue pas, Monsieur, je dessine le Lascaux du futur»…

Après tout, les artistes qui ont décoré les parois de la grotte Cosquer pourraient tout aussi bien être considérés comme de vulgaires taggeurs. Alors, comment en vouloir aujourd’hui à ceux qui gravent leur nom au couteau ou dessinent des graffiti jusque dans les galeries noyées des siphons les plus connus comme à la Douix de Chatilllon par exemple ? Bref, tout est question de point de vue et d’échelle de temps. Qui tranchera ?

 

Publié le Sep 4, 2018

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