L’art donne à voir. L’art émeut, dérange, transgresse… Ni censure ni frontières : l’art est sensuel et subversif par essence… De l’acte au cri, de la conception à la naissance : voici l’enfance de l’art…

L’origine ou la fin du monde ?

En matière artistique, il m’arrive souvent de prendre de grandes claques, au point d’en avoir les joues ou les fesses toutes rouges. Salutaires inspirations… Ainsi, au gré de mes pérégrinations, en fut-il par exemple des esquisses à la sanguine de Michel Ange, au Louvre de Paris ou des dessins de Léonard de Vinci au château du Clos Lucé…

En immersion totale sur les rives du lac Léman, j’ai eu l’occasion de répondre à l’invitation de Laurence De Crousaz pour visiter le musée H.R Giger à Gruyère. Où j’ai découvert l’art érotique et singulièrement dérangeant de ce peintre inclassable.

Une espèce de Hieronymus van Aken (Jérôme Bosch) alpin, sous amphétamines et antidépresseurs, dont les cauchemars surréalistes récurrents ne donnent pas envie de vivre dans sa tête. Et pourtant… Giger est le chancre d’un style qu’il a d’ailleurs créé et qualifié de « biomécanique ». Des dessins, des peintures, mais aussi des sculptures et du mobilier, à y perdre tous ses amis…

Tombé en arrêt devant cette toile à l’inspiration… pénétrante, j’y ai vu aussitôt un hommage que je ne peux croire involontaire à « l’origine du monde » de Gustave Courbet, tableau « scandaleux » pour l’époque, longtemps possédé par l’écrivain déjanté Georges Bataille et qui ne peut pourtant mieux porter son nom. Rien de bien scandaleux là dedans et toutes les sages femmes (et les pères) seront d’accord avec moi…

Comme je suis partisan d’appeler un chat, un chat, je m’étais essayé en son temps avec Daz Studio à une modélisation cyber maladroite du célèbre tableau. Force est de constater que Hans Ruedi Giger a été beaucoup plus loin dans le « scandaleux » avec cette vie bien remplie, ci-dessus…

Giger travaille au pinceau et à l’aérographe, sur de très grandes surfaces, avec une palette de couleurs très sombres et pratiquement monochromatiques : des gris, des sépias, des violets foncés, ce qui accentue encore le côté dramatique de ses peintures. Ajoutez à cela une maîtrise du graphisme, de l’estompe, du contraste et de la profondeur de champ et vous aurez une idée de la puissance de l’artiste…

Côté inspiration, on entre dans une violence froide, lente, reptilienne et mécanisée avec une « inexorable lourdeur de l’être ». Des crânes, des sexes, des dents immenses, des membres atrophiés, mutants, des vertèbres et des os à nu répliqués à l’envi (parfois de vomir), des vertèbres et des doigts, interpénétrés avec de sombres machines. Une sexualité douloureuse issue du mariage forcé de l’homme et de la robotique.

Mais, pour dérangeants que soient les sujets de certaines œuvres, tout cela est… Beau ! A couper le souffle. Un univers qu’on retrouve dans le jeu Dark Seed pour les connaisseurs et dont Giger est l’auteur des graphismes.

Il avoue peindre l’inconscient, ses démons et « terreurs nocturnes » qui l’empêchent de dormir. Comme on le comprend !

On sait aussi qu’il tient ses sources d’inspiration des surréalistes et de peintres plus anciens mais visionnaires comme Arnold Böcklin. Présenté à Salvador Dali par Luis Bunuel, il a rencontré le peintre catalan en plusieurs occasions. Puis, vint la rencontre avec Hollywood…

Alien

 

Tout a déjà été écrit sur le film Alien et son impact sur le public à sa sortie en 1979. 

La difficulté principale pour la production était de trouver un bon design pour la créature extraterrestre. Le scénariste du film, le très talentueux  Dan O’Bannon eut alors l’idée de présenter au réalisateur Ridley Scott  l’art de H. R. Giger, qu’il connaissait.

Scott a immédiatement été convaincu par la beauté terrifiante de la peinture appelée Necronom IV (1976), qu’il décrivit comme un « insecte biomécanique avec des connotations sexuelles » et se décida aussitôt. Il alla rencontrer Giger chez lui à Zurich et lui demanda de concevoir également le design de l’œuf et des autres personnages.

Pour l’Alien, Giger a choisi de supprimer les yeux pour le rendre plus effrayant dans la mesure ou on ne sait pas où il regarde. On dit que la créature du film est également inspirée du Ixtl, un extra-terrestre tiré du roman La Faune de l’espace de A. E. Van Vogt. Ci-dessous, voici quelques images de l’univers d’H.R. Giger et ce qu’en a fait l’industrie du cinéma.

Secondé par Ron Cobb et Chris Foss, Giger a également travaillé sur le design du vaisseau et de l’environnement de la planète.

Giger fractaliste ?

Sans vouloir me comparer en aucune manière à cet immense artiste, force est de constater que son travail ainsi que celui du réalisateur Ridley Scott ont grandement influencé à l’époque mon travail de photographe. Je mettais des rayons bleus partout ! 😉

Quant aux fractales, ce n’est qu’en visitant le musée que j’ai fait le rapprochement. Oui, Giger fait des fractales, peut-être sans le savoir ! Ces motifs peints à la main, répliqués dans une suggestion d’infini, n’est-ce pas la définition même de l’art algorithmique ?

Dans le domaine biomécanique, les ressemblances avec les fractales sont certaines, mais plus encore dans ses œuvres « architecturales »…

Le musée Giger

Toutes ces visions et plus encore (mais il faut bien garder un peu de suspens…) vous attendent si vous visitez à votre tour cet incroyable musée. Voici quelques images volées à l’iPhone de ce week-end passionnant.

Précisons au passage et c’est très important que le Gruyère, le « vrai », n’a pas de trous ! Et que la fondue à l’ail des ours ou à la truffe est… Inénarrable !

Et à la sortie, un peu « sonnés » par ce que vous aurez vu, ne manquez pas le détour au café juste en face, entièrement décoré à la Alien… A Gruyère, personne ne vous entend crier !

Pour finir, voici quelques vidéos pour entrer dans le monde d’H.R Giger. Bonne visite et ne faites pas trop de cauchemars ! 🙂