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Fractales : à la chasse aux minibrots

Parfois, il est bon de revenir aux sources. A l’ensemble de Mandelbrot qui a initié la révolution de la géométrie fractale. Tout le monde connait maintenant cette forme bizarre, fessue, dans les plis desquels se cachent des paysages infinis comme la « vallée des hippocampes », des « éléphants » et quantité d’autres singularités.

On se souvient aussi que l’on peut zoomer à l’infini dans ces figures pour explorer d’autres paysages et découvrant à l’occasion et par hasard, cachés comme des oeufs de Pâques dans les plis oniriques de la fractale, des répliques de l’ensemble de Mandelbrot initial qu’on appelle des « Minibrots » ou “Mini-Mandelbrots”, ou encore “Satellites”…

Les minibrots : où se cachent-ils ?

J’ai commencé l’exploration avec le logiciel Ultrafractal. Sachant qu’avec ce type de logiciel, il faut augmenter considérablement le nombre d’itérations quand on pratique le zoom profond, avec pour corollaire des temps de rendus qui deviennent vite apocalyptiques. Mieux vaut savoir aussi où chercher. Par exemple, dans la vallée des sceptres, inutile de zoomer comme un malade au centre des spirales : elles sont infinies et aucun minibrot ne s’y cache. Par contre, entre elles, apparaissent souvent des structures appelées « Islands » au centre desquelles se cachent presque toujours un minibrot, un peu comme le trou noir qui se trouve au centre de la plupart des galaxies spirales…

 

On peut trouver des minibrots partout (en fait dans une infinité d’endroits) mais il est bon de prospecter en terre de connaissance. Ainsi, une courte ballade dans les premiers niveaux de l’ensemble de Mandelbrot (voir le diagramme des points remarquables, plus haut) m’a permis, pour l’exemple, de moissonner quelques minibrots, dorés à l’or fin… Qui recèlent évidemment en leur sein une infinité de leurs congénères…

J’ai du m’arrêter car au delà de 50 000 itérations, le mac commence à fumer et le point de fusion de l’or est atteint. En dehors de l’intérêt scientifique et de la légitime curiosité de tout fractaliste dans l’âme, la découverte des minibrots est intéressante en ce sens que ces singulartités sont toujours la « graine » autour de laquelle se développe de splendides fractales « spiralées », toutes différentes d’un minibrot à l’autre. Un exemple parmi d’autres dans Ultrafractal, ci-dessous…

Vertige de l’infini…

Ce type d’exploration réserve toujours des surprises car ces minibrots apparaissent quand on s’y attend le moins, quelques soient les formules ou les logiciels utilisés. Mais curieusement ce ne sont pas des répliques parfaites de l’ensemble de Mandelbrot initial mais des copies déformées, toutes subtilement différentes, ouvrant sur de nouvelles plongées infinies : au sein de l’infini se cachent en effet une infinité d’autres infinis !

Bien que troublante pour l’esprit, cette notion d’infini est tout de même assez intuitive. Par exemple, on conçoit aisément qu’il est toujours possible d’ajouter 1 à une suite de nombres entiers : 1+1=2 ; 2+1=3… Un milliard de milliards de milliards de milliards ? Plus 1… Au suivant ! Et on continue ! Vous me suivez ? C’est çà l’infini. Ou plutôt l’un des « infinis » puisque le génial Cantor nous a montré, dans une théorie qui dépasse les compétences de ce blog, qu’il existe « une infinité d’infinis »… Fichtre ! Si la tête vous tourne, je vous conseille de vous en remettre à l’expression du physicien David Hilbert que j’aime beaucoup : « Nul ne doit nous exclure du Paradis que Cantor a créé ».

Mais le vertige devient encore plus important quand on essaye de raisonner à l’échelle de l’Univers. On sait que nous vivons dans un espace temps (l’écoulement du temps est une illusion) actuellement en expansion. Mais à l’heure qu’il est (et même plus tard…) on ne sait toujours pas si l’univers est fini ou infini. S’il est infini, cela veut dire qu’il existe quelque part une autre Terre en tous points semblable à la notre, sur laquelle vous coulez des jours heureux, avec exactement la même apparence, sauf, par exemple, un cheveu manquant. Ou un milliardième de micron de longueur de cheveux en moins. Et une autre Terre plus loin, avec une autre réplique de vous même mais une couleur de cheveux différente. Et l’infinité de variations possibles entre ces deux exemples pour faire un continuum, multipliées par le nombre de cheveux, de chauves, de personnes, de planètes, d’étoiles, de galaxies, d’amas galactiques, de super amas, de toutes les variations possibles et imaginables de vous et de variations de vous (sans parler des autres, des animaux, des champignons, des bactéries, des roches ou de l’absence de tout cela) et ce une infinité de fois. Ouffff… Soufflez à fond !

Il est temps de revenir à nos minibrots, saupoudrés eux aussi dans l’infini. Qu’est-ce qui détermine leurs formes uniques ? Pas un ne ressemble à un autre et ce à l’infini. Mystère. Une énigme d’autant plus épaisse qu’elle chatouille les scientifiques de tous poils qui en ont fait une discipline à part : la chasse aux minibrots. Pour tenter de prévoir leur apparition, codifier leurs formes, etc. Peine perdue pour l’instant ! Et il y a de quoi faire puisque, rappelons le, on sait que le nombre de minibrots est infini…

Toutefois, un certain Robert Munafo s’est cogné le sale boulot et a répertorié les coordonnées spatiales des 4800 minibrots de premier niveau ! Une masse de travail incommensurable qui n’a d’égale que la complexité de son site web en forme d’encyclopédie mathématique (et « old fashion », en « mode texte », comme souvent) totalement imbitable pour la plupart des humains. J’avoue que j’aime assez ce type de personne… Pour mesurer l’étendue de la pathologie du type, sachez qu’il procède au rendu de ses fractales en ASCII. Eh si…

Un « Julia » de la vallée des hippocampes…

Frax : tant qu’il y aura des zooms…

Dans l’extraordinaire logiciel Frax, pour iOS sur iPad, il est possible de faire des zooms assez vertigineux et de pratiquer une chasse aux minibrots très fructueuse. Ses géniaux programmeurs en ont même fait une sorte de jeu. En effet il existe des fonctions non documentées et des surprises (les fameux « easter eggs« ) cachées dans le logiciel par les facétieux programmeurs. En ce qui concerne les minibrots, il faut savoir que les créateurs ont inscrit dans la base de donnée de Frax les coordonnées des 10 000 premiers minibrots ! Plus fort que Munafo vu plus haut donc. Quand vous en découvrez un et que vous le grossissez en plein écran, un filigrane apparait avec son numéro d’ordre ! Mais, il y a encore plus fort : en se plaçant dans l’onglet « global » et en cliquant sur le « mélangeur » (shuffle) le logiciel vous propulse directement vers un autre minibrot du voisinage (parfois géométriquement très éloigné) et ainsi de suite, dans la limite des 10 000 minibrots répertoriés ! Tap… Tap… Tap…

De quoi découvrir des paysages fractals d’une beauté et d’une complexité à couper le souffle ! On consultera à profit les articles du blog rédigés par Kaï Krause, qui détaille plusieurs autres singularités… Naviguer à l’infini et dans des régions que vous êtes peut-être (et très certainement, aux niveaux de zoom importants…) le premier à parcourir et visualiser ! C’est la magie de l’infini : les zones qu’il est possible d’explorer, même avec ce « petit » logiciel, dépassent en surface des milliards de fois la surface de la Terre ! Les chances de repasser au même endroit sont donc très minimes… De quoi libérer l’explorateur qui sommeille en vous.

Plus rare, on tombe parfois sur des groupement de minibrots, parfaitement alignés sur une droite comme des poulets à la broche. Une infinité de poulets ! Que j’ai donc naturellement baptisés « ChickenBrots »… En voici un certain nombre, de tailles différentes sur la même rôtissoire, disons de l’ortolan à l’autruche ce qui, vous vous en doutez, n’est pas sans poser des problèmes à la cuisson…

Dans le même ordre d’idée, chemin faisant, en m’enfonçant plus avant dans une ancienne vallée alluviale du profond désert du Hoggar, j’ai découvert ces cratères. Au nombre de 4 pour les bouches principales des geysers mais sans doute beaucoup plus nombreux, sous forme de fumerolles de natron, entre les blocs de sédiments…

Un peu plus loin, dans le lit d’un oued asséché, pas moins de sept minibrots et sans doute beaucoup plus au milieu des graviers ferrugineux…

Mon intuition était la bonne : je découvrais bientôt le trésor. L’or liquide figé en filons sur le pourtour du geyser, au milieu des crêtes de basalte noir ; une oasis volcanique au creux des dunes ! Fortune faite, je rentrais en Europe et racontais mon histoire que personne ne voulu croire… Ainsi naissent les légendes des déserts oubliés, dans la poussière des possibles…

D’autres explorations sont possible en jungle équatoriale : il suffit pour cela de changer de gradient de couleurs ! Ci-dessous, une série de trois zooms (rectangles rouges) à partir du premier ensemble de Mandelbrot qui nous amène d’abord dans un détail de la dentrite (notons la similitude avec des formes alluviales), au centre de laquelle se trouve un premier minibrot, dans la dentrite gauche duquel se trouve un autre, et un autre encore, etcetera, avant que je ne parvienne sur les rives de ce lac noir bordé de papyrus, un minibrot particulièrement déformé. A vrai dire, il ressemble plutôt à un ensemble de Julia et il se peut que j’ai permuté la commande par inadvertance dans ma fièvre d’exploration. Tant qu’il y aura des zooms… De toute façon, c’est trop tard, je n’ai pas sauvegardé la position et cette singularité est perdue à jamais dans la boîte de Pandore…

Mais la déformation des minibrots est chose courante et même la règle. Ci-dessous trois autres exemples de minibrots également déformés, avec « une fesse de travers »… La sacro sainte règle de la géométrie fractale (l’autosimilarité), comme quoi on retrouve les mêmes formes à toutes les échelles, est une approximation. Je vois dans ces « défauts » comme une réminiscence des lois de Darwin concernant l’evolution dans le monde du vivant : la nature essaye toutes les combinaisons possibles. Seules celles qui sont adaptées à leur environnement du moment survivent et donc prolifèrent… Les petites dissemblances observées entre les minibrots sont une manifestation troublante de « l’arbre des possibles »…

Notons qu’il est toujours possible de basculer du mode de visualisation « Mandelbrot » vers « Julia » (l’ensemble de Mandelbrot « contient » l’infini de tous les ensembles de Julia) ce qui offre souvent des perspectives magnifiques… Par exemple, entre les racines mauves de ce banian extraterrestre, voici l’équivalent d’un minibrot en symétrie « Julia »…

Pour finir et pour se faire une idée du terrain de jeu qui vous attend, voici, en 4K (pensez à régler les préférences YouTube et vous placer en plein écran…) un zoom dans l’ensemble de Mandelbrot en passant par une des « vallées de éléphnats ». Un court parfum d’infini… Bonne plongée !

 

Publié le Mai 3, 2020

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