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Corail d’Atlantique

Le monde fantastique des algues d’Armorique…

Un ciel bleu-vert, nimbé de brume… Nous survolons la grande jungle acajou depuis trop longtemps et arrivons à bout d’autonomie sans qu’une seule piste de sable n’apparaisse : nous allons tenter d’atterrir en catastrophe… Les grandes palmes lustrées se rapprochent, puis nous perçons les frondaisons vernies et dérivons à couvert, slaloomant entre les troncs immenses. Le sol se rapproche, nappé d’une végétation dense et polymorphe… Cocotiers, magnolias en fleur, lianes et fougères arborescentes…
Pourpre, garance, mauve, vieil or, rose, bronze ; mousses d’émeraude et orchidées  d’améthyste aux reflets bleus électriques ; une flore onirique et pourtant réelle, même si aucune de ces fleurs paradoxales ne dépasse la taille de la main : nous venons de prendre pied par quinze mètres de fond, dans un de ces champ d’algues géant, au Septentrion de l’Armorique

Tout le monde a éprouvé un jour, la longue et glissante caresse des algues. Emberlificoté dans ces plantes carnivores, à bout d’apnée, on aura même pris peur de ne pouvoir rejoindre la surface, retenu contre son gré dans les jardins de Neptune.
Mais, tout à la quête du poisson rare, de l’épave aux mystères,  on ne sait plus voir ce jardin extraordinaire, l’une des richesses sinon la plus grande de nos mers occidentales.
Il est de bon ton de s’extasier devant les folles constructions du corail tropical, certes vivant, mais tellement rocheux ! Une espagnolade à la Gaudi, sans âme, sans passé, peut être sans avenir.
Ces mers chaudes sont orphelines : riches de vie animale mais exemptes de flore ou peu s’en faut. Connaît-on sur terre des paysages de papillons sans fleurs pour s’y poser ?
Pour qui est las des fonds tropicaux en porcelaine où du bocal bleu méditerranéen, rien ne remplace les brunes et houleuses forêts gaéliques, celles des mers vivantes qui font passer le temps de leurs lents coups de fouet métronomiques.

Flore d’Arvor

Les algues se développent dans la zone intertidale. Elles font partie des thallophytes (au contraire des phanérogames qui produisent fleurs et graines, à l’exception des fougères et des mousses).
Mais, comparées à ces dernières, les algues sont moins complexes. Elles ne sont jamais composées d’organes ayant une morphologie, une structure et des fonctions bien définies comme la racine, la tige souterraine ou les frondes d’une fougère. Ainsi le corps vivant des algues, d’une grande diversité de forme, est un tout appelé “thalle”.
Toutefois, ces classifications sont actuellement remises en cause par les nouvelles avancées de la science. Les algues sont en effet mal connues : on en compte au moins 1500  espèces dans les mers d’Europe, bien que de nouvelles soient régulièrement découvertes.

Il semble que les algues ne constituent pas un ensemble homogène au sein du règne végétal : elles seraient l’aboutissement de plusieurs voies évolutives, totalement indépendantes entre elles. Ainsi, une “voie verte” aurait donné naissance aux algues vertes, mais aussi aux plantes terrestres ; une lignée rouge, et une brune, aux algues de cette couleur.
Il y a plus de différences biologiques entre une algue rouge et une algue verte, qu’entre cette même algue verte et un platane ! Tels sont les caprices de la nature.
Quand aux algues bleues (Cyanophycées), inclassables et microscopiques briques à l’origine de la vie, on les assimile aujourd’hui aux bactéries ; des bactéries bleues : voilà qui arrange tout le monde…

Forêts salées

Brun, vert, rouge : voilà donc les couleurs fondamentales du cinémascope floral sous-marin.
Les algues pratiquent en effet la photosynthèse : elles fabriquent des substances organiques complexes à partir d’éléments minéraux simples, avec pour seule énergie celle du soleil, aidées en cela par leurs pigments colorés, qui absorbent certaines radiations.
Sous l’apparente monotonie de ces végétaux gluants, c’est en effet un véritable festival de couleur qui explose sous la mer.

Les algues brunes (Chromophytes ou fucophycées) sont les plus répandues. Ainsi, les laminaires se présentent comme de petits arbres, avec un tronc circulaire ou aplati (le stipe) et un “feuillage” plus ou moins ramifié. Ce sont les plus grandes algues sous nos latitudes, qui peuvent atteindre 3m de hauteur.

Citons les plus communes : Laminaria hyperborea (goémon d’Avril), Laminaria digitata , encore appelée taly, et la Saccorhiza bulbosa , facilement reconnaissable à son stipe plat, cramponné au rocher grâce à une ventouse jaune bulbeuse, marquée de curieuses sinusoïdes.
Atypique et pourtant laminaire, Laminaria Saccharina (baudrier de Neptune) croît sur le sol en projetant en étoile, à partir d’un court stipe central, de longues feuilles ressemblant à des peaux de crocodiles.

Immatérielles et presque transparentes, les délicates ombrelles de soie fumée de Porphyra umbilicalis  dérivent dans le courant. Ces algues étaient l’objet au Japon d’une culture intensive mais empirique depuis le 17ème siècle. Consommées en Extrème-Orient, elles sont appréciées pour leurs qualités gustatives et nutritionnelles.
Aujourd’hui elles sont cultivées à partir des spores produites dans des bassins à terre. Elle est l’une des industries alimentaires les plus florissantes au Japon. L’algue sèche est vendue sous forme de paquets de feuilles minces, sous le nom de Nori. Elle est disponible aujourd’hui en France. Elle pourrait être une importante source de protéine marine pour l’avenir.

En forme de pompons clairsemés, solidement cramponnés à la roche, voici Chondrus Crispus  (Lichen carragheen – Bouchounou). De consistance cartilagineuse, c’est une algue annuelle qui est l’objet d’une cueillette à la belle saison car elle est la source d’une matière colloïdale polysaccharidique exploitée industriellement : le carraghenane.

D’un brun tirant sur le vert, et communément appelés “varechs”, on distingue :
– Fucus Spiralis  (varech spiralé).Vivace, il devient fertile à la fin de l’hiver. La lame se divise plusieurs fois en lanières dichotomes, pourvues d’une nervure. La surface porte des poils incolores qui s’échappent en petites touffes par les ouvertures (ostioles) de cavités appelés cryptes pilifères. Le thalle produit à la fois des cellules mâles et femelles (monoïque).
– Fucus vesiculosus  (varech vesiculeux). Il porte des vésicules gonflées d’air qui lui servent de flotteurs et apparaissent en hiver. Les réceptacles d’un même thalle ne produisent que des cellules d’un seul sexe (dioïque).
Les réceptacles femelles produisent des gouttelettes olivâtres alors que les mâles sont oranges. Sa durée de vie est de trois ans.
– Ascophyllum nodosum  (vraigin ou robert). Il peut atteindre 2m et noircit au séchage. Dioïque, on lui connaît la plus grande longévité (15 ans). On le récolte pour alimenter le bétail et pour l’extraction du mannitol, un sucre non calorique.

Indifféremment lianes enchevêtrées ou forêt de bambous selon la marée et les courants, Himanthalia Elongata  se déploye en longs filaments d’un jaune caoutchouteux.
La partie végétative perennante se présente comme de petites coupelles vert olive fixées au rocher. Au début du printemps, elles donnent naissance à des lanières dorées qui peuvent dépasser deux mètres. Devenues fertiles, les tiges se couvrent de petites tâches, les ostioles, qui sont unisexuées. En été, les lanières se détachent, avec la fin de la période fertile.
Des algues roses épiphytes, en forme de pompons, se développent parfois sur les himanthales, en été.
La famille des algues jaunes compte également les sargasses (Sargassum Muticum), en massifs vésiculés caractéristiques, et la Pelvetia Canaliculata, en massifs d’un éclatant jaune d’or.

Les algues vertes, ou Chlorophytes, se rencontrent à plus faible profondeur.
D’un vert tendre, la plaie des ports : Ulva Lactuca  (laitue de mer). Elle se développe à faible profondeur car elle a besoin de lumière, et particulièrement dans les zones ou les rivières apportent de l’eau douce chargée de minéraux provenant des engrais.
Leur prolifération est alors extraordinaire, et elles sont le cauchemar des marins et plaisanciers, en bouchant les crépines d’aspiration des moteurs de bâteau.
De la même famille, en forme de touffes de gazon : Enteromorpha compressa. Souvent mises au sec à marée basse, elles résistent bien au dessèchement.

Peut-être les plus belles : les algues rouges (Rhodophytes), qu’il faut aller chercher comme des orchidées rares, sous les frondaisons de laminaires. Elles sont souvent petites, voire miniatures : ce sont les bonzaï de la forêt salée…

Un bouillon très pigmenté

Ces massifs d’asperges, d’un vieux rose : voici Asparagopsis Armata, annuelle et qui possède des chromoplastes susceptibles de libérer de l’iode : les ioduques.
Ces pages de livre lacérées, d’un rouge sombre qui hésitent dans le ressac ? Pas de doute, voilà Rhodymenia palmata  (goémon à vache). Très commune, elle se fixe par un disque, soit au rocher, soit sur d’autres algues, notamment sur les stipes des laminaires qu’elles parent de guirlandes.
Une superbe algue charnue, d’un rouge  profond,  évoque un buisson de roses : c’est Dilsea Carnosa.  Entamée par les prédateurs, elle présente des ocelles jaune vif. Comestible, c’est la “doucette”.

Enfin, cramponnés au rocher, les minuscules arbrisseaux mauve de Corallina officinalis.  Ce  thalle, d’aspect articulé et rigide, a la propriété de fixer le calcaire. Il se décolore à la lumière.

La nature des pigments contenus dans un thalle constitue la carte d’identité de l’algue. Sa couleur apparente est le résultat d’un mélange complexe, où l’on retrouve au passage le casse-tête d’une classification “systématique”…

Les algues vertes (Chlorophytes) renferment de la chlorophylle A et B, une molécule organo-métallique qui présente d’ailleurs la même structure que l’hémoglobine de notre sang.
Les algues jaune-vert (Xanthophycées), jaune (Chrysophycées) et brunes (Phéophycées) ajoutent à leur propre chlorophylle (5 formes connues), des substances jaunes et oranges : les carotènoïdes.
Les algues rouges (Rhodophycées), quand à elles, sont colorées par les phycoérythrines.
Par ailleurs, comme l’ont montrés les chercheurs du CEVA, certaines algues contiennent des protéines fluorescentes, qui pourront avoir des applications futures dans l’industrie. Sous l’eau, le Chondrus Crispus  présentent ainsi, sous certaines incidences, une fluorescence bleue.

Au paradis des brouteurs

Les champs d’algues sont un véritable jardin d’Eden pour de nombreuses espèces animales qui s’en nourrissent ou s’y développent. Le nageur de fond, l’arpenteur de miles, le plongeur souffrant de recordite devra ici freiner ses ardeurs et tomber en arrêt, le nez collé au fond car le spectacle est  millimétrique !
D’abord, tout à leur festin baveux, la cohorte des brouteurs. Gibbules, Troques, Pourpres, Patelles, Balanes… Gastéropodes divers, parfois délicats bijoux comme les Littorines jaune citron (Littorina obtusata). Ces bigorneaux de couleur vive colonisent les fucus et y brodent des napperons en dentelles.
Plus splendides encore sont les Helcions (Patina Pellucida) : une virgule de nacre d’à peine 3mm, rayée de pointillés d’un bleu fluorescent, fixée sur la fronde d’une laminaire. Ces gastéropodes apparentés aux berniques (patelles) creusent la chair algale au fur et à mesure qu’ils la consomment. l’algue développe alors un bourrelet réactionnel autour de l’animal qui  perfectionne ainsi son propre abri.

Les thalles portent aussi des colonies d’hydraires et les stipes sont de véritables viviers, incrustés d’éponges, de bryozoaires, de nudibranches, de micro-crustacés, voire d’autres algues…

Il ne faut pas manquer un détour par les Botrylles. Ces ascidies, qui sont des colonies filtrantes, de consistance spongieuse, présentent une extraordinaire variété de teintes : bleu nuit, turquoise, orange, jaune vif, etc. C’est l’une des plus belles espèces qu’on puisse rencontrer dans les “sous-bois” de laminaires.

De nombreux poissons vivent dans les algues et leur mimétisme est surprenant. Cette ramille caramel, à peine spiralée que vous preniez pour une jeune fronde de laminaire : c’est le Syngnate ! Un serpent de mer, un hippocampe déplié, une espèce protestataire ou c’est le mâle qui porte les oeufs. Il est accroché par la queue et attend que jeunesse se passe…
Les labres et les vieilles, grands consommateurs d’algues, y plongent à l’envi leurs canines mittérandiennes. Ils ont assortis  leurs robes à la salle  à manger : repas de colliers de Neptune ? Blouson près du corps, laine écossaise rehaussée de cuir grenat. Festin de laitue de mer ? Combinaison vert-fluo et  broche en perle noire, qui est peut-être un oeil…

Les moissonneurs de la mer

“Lorsque les fées vivaient dans les houles, elles y cultivaient des herbes de mer, en secret, et à cette époque il n’y en avait que là. Elles s’en servaient pour fabriquer une pommade magique bonne pour leurs enchantements…” .
Ainsi parle la légende qui circule encore aujourd’hui dans les landes et les brumes. Les pêcheurs donnent encore à ces algues le nom “d’herbes à sorcières” et jadis beaucoup de gens allaient en ramasser parce qu’ils leur croyaient la vertu de guérir tous les maux, comme l’écrit Paul Sébillot.

Les algues contiennent 70 à 80 % d’eau. Dès que l’algue est sortie de son milieu naturel, son métabolisme s’inverse. Les enzymes qui permettaient la photosynthèse provoquent alors sa décomposition. Il faut arrêter ce processus anabolique grâce à la déshydratation. Le goémonier conserve sa production sous forme de meulons d’algues séchées grâce au soleil et au vent.

Au 17 ème siècle, on extrait la “soude” des cendres d’algues, qui sert pour fabriquer le verre, les savons, les teintures… Jusqu’à ce que le chimiste Leblanc parviennent à l’extraire plus facilement du sel marin, en 1789. C’est en 1811 qu’un autre chimiste, Courtois, découvre l’iode, et la première usine est installée au Conquet en 1828.
Pour obtenir l’iode, principal produit fini de l’industrie goémonière au début du siècle, il faut purifier les cendres d’algues par dissolutions et précipitations successives. Ces cendres étaient livrées aux usines sous forme de pains de soude (torziou-soud) par les goémoniers qui réalisent l’incinération des algues dans des fours à soude.

Ces fours sont construits sur des buttes exposées aux vents dominants et se présentent sous la forme de tranchées consolidées de dalles de granite et étanchéifiées à l’argile. Leur construction archaïque est connue depuis 1784, aux Glénans.
Le brûlage des algues commence après la Pentecôte et dure jusqu’au mois de Septembre. Les “bouilleurs” allument le feu avec des fougères, des ajoncs, des fagots de genêts, puis des brassées de goémon noir. On ajoute ensuite le goémon poignée par poignée, jusqu’à combustion totale des meulons, ce qui peut prendre la journée.
La chaleur qui se dégage est très importante et suffit à faire fondre les cendres. Un panache épais de fumée blanche et acre balise alors les dunes. Les enfants viennent y jouer à cache-cache, se gorgeant de fumée réputée bonne pour les bronches.
Intervient ensuite le brassage au “pifoun”. Plus la soude est remuée, meilleure sera la prise en masse. C’est un travail exténuant, dans une chaleur étouffante.
Le lendemain, on procède au démoulage des pains, “monolithes noirs, durs comme pierre” à la barre à mine. Chaque four en produit une dizaine de 60 à 80 kg chacun. La production annuelle du goémonier était d’une dizaine de tonnes.
5 tonnes de “vert” (goémon humide) donnent une tonne de “sec” et après brûlage, 150 à 200 kg de soude d’où les “usiniers” pourront extraire deux à trois kilos d’iode seulement. On imagine la quantité d’algues nécessaire aux 70 tonnes d’iode de la production française en 1913 !
Vers les années 50, cette industrie artisanale disparaît, remplacée par l’extraction de l’iode à partir des sous-produits des nitrates chiliens.

C’est au siècle dernier qu’on découvre l’algine, et ses nombreuses applications, qui relance cette activité moribonde.
En 1914, 4000 familles vivaient presque uniquement de la récolte des algues, dont les deux tiers dans le Nord Finistère où 1330 goémoniers embarqués sur 620 bateaux cueillaient annuellement 150000 tonnes d’algues. En 77, cette production n’est plus que de 9400 tonnes.

De nos jours, l’activité goémonière reste un grande composante de la vie maritime du Léon. Le goémon-épave n’est plus utilisé que par quelques cultivateurs, comme engrais, et dans l’industrie des alginates gélifiants (115 tonnes en 1985).
Depuis 1890, on récolte les gigartales (pioca ou lichen carraghéen) pour la production de carraghénates, utilisés comme liants et gélifiants dans l’industrie alimentaire. Toutefois, les 3500 tonnes récoltées à la main chaque année sont largement insuffisantes pour l’industrie, qui doit importer.

On récolte également à la main les fucales pour l’industrie pharmaceutique (Quelques centaines de tonnes d’Ascophyllum et 1000 à 2000 tonnes de Fucus). Le ramassage se pratique dès le mois d’Octobre, après la saison des laminaires
Depuis 1971, les moissonneurs des mers utilisent un crochet hélicoïdal, le “scoubidou”, au bout d’une grue hydraulique, qui permet d’arracher les laminaires à 5-6m de profondeur. La flottille compte 80 bateaux et la production est de 60 000 tonnes par an pour le Finistère Nord. Activité unique au monde et typiquement locale.
Mais il est loin le temps où l’on s’en allait à l’aube, accompagné d’un cheval  bon nageur, pour atteindre le premier les îles ; le temps où les femmes confectionnaient de faux marmots en chiffons, pour gagner un écot de plus lors du partage…

Mer des Sargasses : la dernière Manche ?

Aujourd’hui, la tendance est à l’aquaculture, ce qui ne va pas sans poser des problèmes…

Sargassum Muticum  est originaire du Pacifique Nord-occidental. Elle a sans doute été importée dans la Manche avec un naissain d’huîtres japonaises. Découverte en 73 autour de l’île de Wright, et malgré plusieurs campagnes d’éradication, les Sargasses continuent d’envahir nos côtes. Voilà qui rappelle l’introduction accidentelle de Caulerpa Taxifolia en Méditerranée…

C’est la raison pour laquelle le projet d’implantation de l’algue Macrocystis provoque tant de polémiques : “Macrocystis, pactole ou myxomatose ?” titrait un journal.
Cette algue est une laminaire géante originaire de Californie qui peut atteindre 50 m de long. Sa culture serait sans doute très rentable pour la production des alginates mais sa prolifération mal contrôlée pourrait être une véritable catastrophe écologique dans le domaine de la vie littorale, la sédimentation et même la navigation.

Toutefois, l’implantation d’espèces nouvelles n’est pas forcément un drame : Codium fragile est une algue spongieuse qui forme seulement des gamètes femelles et se reproduit par parthénogenèse. Introduite sur nos côtes depuis la première moitié de ce siècle, elle s’est répandue grâce à son pouvoir de multiplication par fragmentation. Mais elle a tout naturellement trouvé sa place dans l’écosystème, sans provoquer des catastrophes…

Un centre pour l’étude et la valorisation des algues

Les différents laboratoires d’analyses physico-chimiques et d’extraction du CEVA, installé à Pleubian dans les Côtes d’Armor, mènent des recherches fondamentales et appliquées sur cette ressource naturelle encore largement sous-exploitée.

Les produits dérivés des algues trouvent des applications dans de nombreux domaines comme l’industrie pharmaceutique, la cosmétique, les nouveaux matériaux, et bien entendu dans l’industrie alimentaire. Les polysaccharides sont par exemple utilisés pour l’alimentation animale, le traitement des eaux par résines échangeuses d’ions, ou les films comestibles.

Le CEVA dispose en outre d’une écloserie, d’une station de culture à terre, en bassins, et d’une ferme marine pilote de 6 hectares. En collaboration avec l’IFREMER, les chercheurs pratiquent la culture de plantules, pour l’ensemençement en mer du Wakame (Undaria Pinnifitada ), une algue comestible.
La gestion des ressources, à l’échelle de la Bretagne, est surveillée par méthode statistique à partir de photos du satellite SPOT. Pour les champs de laminaires immergés en permanence, une méthode acoustique automatisée est actuellement en cours de développement. Elle remplacera à terme les expertises vidéos réalisées par des plongeurs.

Dans l’eau dense de plancton étoilé, je contemple ces populations de  laminaires qui agitent leur drapeaux depuis des générations, comme pour attirer l’attention des hommes. C’est aujourd’hui chose faite.
Dans un monde où la démographie exponentielle posera un jour le problème des ressources alimentaires, les algues pourraient bien être, à l’égal de la femme,  le devenir de l’homme…

Le goémon et la loi…

Les Affaires Maritimes, par une loi datant de Colbert, distinguent trois catégories de goémon:- Le goémon épaveCe sont toutes les espèces que la mer rejette sur les rivages, après les coups de vent.
Une autre cause naturelle peut aboutir à l’échouage massif de Laminaria Hyperborea : En Avril-Mai les frondes des laminaires se renouvellent. Les anciennes se détachent des stipes et sont rejetées à la côte. On les appelle bijin ebrel (goémon d’Avril) ou bijin ruz (goémon rouge). D’autres appellations sont courantes : fleur de Mai, goémon de vent… Chaque village à son nom propre. La récolte de ces algues est libre, sauf la nuit.

– Goémon de rive :
Il s’agit de l’ensemble des algues croissant sur les rochers que la marée découvre, et qu’on peut atteindre à pied sec. On récolte les laminariales, les lichens, et surtout les fucus. Cette récolte n’est permise que deux marées par an et pour les habitants des communes riveraines. Ainsi chaque été, sur les côtes du Léon, débute la chasse au “Bouchounou” (Chondrus Crispus) .
De consistance cartilagineuse, c’est une algue annuelle qui est l’objet d’une cueillette à la belle saison car elle est la source d’une matière colloïdale polysaccharidique exploitée industriellement : le carraghenane.
Cette substance épaississante et émulsifiante est de plus en plus employée dans la fabrication des glaces et des desserts à base de lait. On envisage son aquaculture.
Aux grandes marées, elle est récoltée à la main par des pêcheurs à pied et payé 1,40F le kilo sur la dune, équipée pour l’occasion d’une balance et d’un “peseur” assermenté.
La moisson journalière, pour un site donné, est de 10 à 15 tonnes.

– Goémon poussant en mer :
Ce sont les algues qui vivent en dessous du niveau de basse mer. La récolte en est réservée aux inscrits maritimes, qui les exploitent sur des bateaux spécialement équipés d’un crochet tournant : le “scoubidou”.

 A table : Les algues alimentaires

Parmi les 800 espèces d’algues marines connues sur nos rivages, plus d’une dizaine sont comestibles et exploitées depuis quelques années. Elles sont riches en sels minéraux et oligo-éléments et servent de condiments, jusqu’à inspirer de grands chefs de cuisine.Leur consommation devrait se développer dans les années à venir, si l’on en juge par les investissements consentis par de grands groupes pour son aquaculture.  En Asie, elles font partie de l’alimentation courante et leur culture dans des fermes marines occupe plus de 500 000 personnes. Les plus connues sont :

Le Nori

Cette variété correspond à un produit fabriqué à partir de différentes espèces d’algues rouges du genre Porphyra. Les thalles sont bouillis et hachés à l’eau douce puis séchés. Les asiatiques en font une grande consommation  pour la fabrication des rouleaux de riz et autres “sushis”. Le nori présente un grand intérêt nutritionnel puisqu’il contient 35 % de son poids sec en protéines ainsi que de nombreuses vitamines. Sa culture occupe 60 000 hectares au Japon et a été étendue, faute d’espace disponible, à la Corée et à la Chine. En Europe, Porphyra Rubra est commercialisée sous le nom de violette des mer, nori pourpre ou laitue pourpre de mer.

Le Kombu

C’est une préparation à base de laminaires (Kombu royal, sur nos côtes, à partir de Laminaria Saccharina,, laminaire sucrée. Également Laminaria Digitata et Ochrolenca ). Macéré dans le vinaigre et vendu sec, on le sert pour accompagner le riz, le poisson, ou en infusion (thé de Kombu). Le Kombu est très riche en glucides et sels minéraux. La Chine en produit 280 000 tonnes dont 15 % proviennent de la culture.

Le Wakame

Produit vendu à l’état sec qui provient de laminaires Undaria Pinnatifida. Introduite accidentellement en 71 dans l’étang de Thau, elle s’y est développée anarchiquement constituant une menace pour l‘ostréiculture. Toutefois, IFREMER encourage sa culture dans les îles bretonnes du Ponant, étant parvenu à maîtriser sa croissance. Elle est ainsi produite à Ouessant sous le nom de fougère des mers, ou d’Ouessane.

Citons également :

la laitue de mer, aosa, nori vert (Ulva Lactuca ), qui est mangée en salade.
Le lichen pioca (Chondrus Crispus – Pioca, Pioka, goémon blanc, Teil picot, Lichen de mer, mousse irlandaise…). Mis à blanchir sur la dune, à la rosée du matin, il était jadis l’entremets du Jeudi. La tradition s’en perpétue encore au pays de Galles.
Haricot vert de mer : Himanthalia Elongata,  spaghetti des mers, Extra-fin des mers.
La doucette ou dulse de mer : Palmaria Palmata  et Dilsea Carnosa.

De nombreuses espèces sont utilisée dans l’alimentation animale : réduit en poudre, le fucus donne de la farine pour le bétail. Autrefois, c’était de véritables pâturages marins que broutaient naturellement les bêtes, comme cela se fait encore en Irlande et en Norvège.

Quant aux  vertus médicinales des algues, elles sont connues depuis fort longtemps : entre autres, vermifuges (Corallina Officinalis ), ou anti-coagulants (Dellesseria Sanguinea ).

Enfin, on utilise aujourd’hui en chirurgie des stipes secs de laminaires. En raison de leur capacité à regonfler lentement, elle sont capables d’élargir les plaies, sans provoquer de lésions.

En savoir plus :

Le Centre d’Études et de Valorisation des Algues (CEVA) organise des visites de ses laboratoires. Tel : 16 96 22 93 50
Ne pas manquer également la visite de l’Océanopolis de Brest.

– HARMFUL MARINE ALGAL BLOOMS
collectif – Lavoisier 1995
– NOUVELLES SAVEURS DE LA MER, La cuisine et les algues.
Clotilde Boisvert, Pierre Aucant – Albin Michel 1993
– GUIDE DES ALGUES DES MERS D’EUROPE.
Collectif, Delachaux & Niestlé 1992
– CONNAITRE ET RECONNAITRE LES ALGUES MARINES.
Paulette Gayral, Joël Cosson – Editions Ouest France 1992
– LES GOEMONIERS.
Pierre Arzel – Editions de l’Estran 1988
– DES MÉTIERS ET DES HOMMES.
Bernard Henry – Editions du Seuil 1980
– LES MÉMOIRES D’UN VIEUX PAYSAN GOEMONIER DES ABERS.
Jean Simier – Plouguerneau 1976
– MARINE ALGAE.
T. Levring, H.A. Hoppe, O.J. Schmid – Editions Cram, De Gruyter & Co 1969
– LES ALGUES DES COTES FRANCAISES.
Paulette Gayral – Editions Doin 1966
– HANDBOOK OF THE BRITISH SEAWEEDS.
N. Newton – Londres 1931
– SUR LA COTE.
Charles Le Goffic – Flammarion 1907

Remerciements

Océanopolis de Brest – Mr Lemilinaire
CEVA
Beuchat
Marie-Josée Trébaol (documentation – logistique)
Yves Mer (SNSM-Logistique)

Publié le Juil 18, 2006

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2 Commentaires

  1. petit-rectificatif

    les macroalgues jaunes n’existent pas, il s’agit d’algues brunes dont la couleur varie avec la saison

    Réponse
    • Francis Le Guen

      Et pourtant, elles sont jaunes ces himanthales (et d’autres espèces) 😆
      Mais classées dans les algues brunes… Cauchemar des terminologies !

      Réponse

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