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Carnets de Plongée : plongée de barges

Pour patienter jusqu’au 5 septembre, date à laquelle cette nouvelle collection Carnets de Plongée sera disponible en librairie, j’ai décidé de publier ici quelques extraits de ces livres ainsi que d’autres textes qui n’ont pas été retenus dans la sélection finale.

Cette fois-ci, une petite incursion dans le monde des pros… Bonne lecture !

Plongée de barges

– Il est où Ramzi ?
C’est Jean-Louis, le chef de chantier, qui gueule sur la coursive. «Tonton»… Il est dans l’un de ses mauvais jours. Alors… 1,90m et 120 kg : dans ces moments là, vaut mieux pas affronter le grand rouquin de front.
– Heu, il est en bas, je réponds.
– Comment ça, « en bas » ? Il est prévu comme bellman pour la sat sur la tête de puits 3 ! Qu’est-ce qu’il fout ?
– Il… Il désature. Et je désigne un flot de bulles, en contrebas.
Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ? hurle Jean-Louis qui dévale maintenant l’échelle dont la peinture blanche est boursoufflée de rouille.

Hou là, ça va chauffer ! Moi, c’est Aldo. Je suis géologue ici. 20 ans d’Afrique… Mon job, c’est l’interprétation des courbes sismiques, quand on fait péter les explosifs pour sonder les couches profondes et débusquer le pétrole. Alors les plongeurs, je m’en fous un peu, c’est pas mes oignons. Mais ça empêche pas de créer des liens… Forcément. Des fois, je fais le tampon, entre eux, ou avec Jean Louis. Parce que, quand ça barde ici, ça prend tout de suite des proportions ! On a de tout : des canadiens, des français, des indonésiens, des locaux du Nigéria ou du Cameroun et les problèmes, entre plongeurs pro, ça se règle souvent à coup de clés anglaises de 6 kg ou de chalumeau oxy/acéto.

Jean-Louis est arrivé à ma hauteur… c’est-à-dire que je lève la tête :
– Heu, il y avait une petite fête hier, et…
– Ouais, il était encore saoul comme une vache, c’est ça ? Bon, que ce zigoto dessaoule rapido et qu’il soit dans la tourelle à 11h pétante. Tu lui diras !
Et il repart, furibard.
– OK, OK… Jean-Louis.
Les mains à la hauteur de ma casquette retombent. Il peut bien causer le gros balourd : il suçait pas que de la glace non plus, lui, quand il était plongeur ! Il a dû arrêter (le foie). Mais maintenant, il fume des pet’s. Et certains jours, y a des petites blacks qui montent à bord et repartent en pirogue au petit matin… Si la compagnie savait ça ! Mais elle est loin la compagnie, et l’Afrique est éternelle…
– Meeerde !
Ah, Tonton a dérapé et s’est cogné dans la ferraille ! Ça va pas arranger son humeur.

Source: google.fr via Francis on Pinterest

Nous sommes amarrés sur le fond. Alors il y a pas de roulis. Mais faut quand même avoir le pied marin : sur une barge pétrolière, quoi que tu fasses, tu baignes dans l’huile ! Ce qui ne dérange pas les cafards qui pullulent, d’ailleurs. Ça glisse partout, et il faut y réfléchir à deux fois avant de descendre un escalier. Surtout «narcosé» ! Il y a même une coursive sur l’un des bords, qu’on appelle ici «l’alcootest». Une fois, on a perdu un gars. On lui a bien lancé une bouée, mais elle avait plus sa corde de rappel. Chouravée comme toujours pendant la nuit par les pêcheurs du coin… Et le Zodiac* ? En carafe, éventré sur le pont. 3 heures à dériver dans le courant du Niger au milieu des requins, le mec ! On a quand même pu envoyer un hélico et finir par le récupérer…

Ce matin, il fait déjà une chaleur à crever. La barge est posée dans le golfe de Guinée, à 12 bornes du delta du Niger. Sur une mer de pétrole : le champ d’Okoro. Ouais, on fait ce qu’on peut pour le siphonner proprement. Mais on sait bien que cette mer souterraine, on la fait bouffer à tout le monde…  300 marées noires par an, au bas mot, dans tout le delta ! En haut lieu ? Ils s’en foutent. On a fait tout un pataquès pour la fuite BP dans le Golfe du Mexique. Franchement, c’était rien à côté d’ici. En même temps, c’est calme là bas… Ici, nous, on a des zigues qui scient les oléoducs et qui siphonnent le brut pour le raffiner eux même, à la barbe de la compagnie ! Il parait qu’elle perd chaque jours 25.000 barils…
Des fois, on est même attaqués par des pirates. Ils montent à l’abordage ! AK 47*, machettes : y a des types enlevés, des demandes de rançon. Du coup, on a quelques armes pour se défendre, des grenades… Et quand on voit un bateau louche approcher, on tire en l’air. Enfin, pas toujours.

Sinon, on s’emmerde : inspection de têtes de puits, dévasage, dessouillage, inspection vidéo des pipes, des fois une soudure… La routine, quoi. Par 118m de fond. On n’est plus en exploitation, pourtant tout marche nickel. Bon, on n’est pas dans le secret des dieux non plus. L’essentiel, c’est qu’on touche les salaires et les primes. Et jusque là, rien à dire : c’est un boulot de dingue, mais on se fait des balles en or !

Parce que, faut comprendre aussi : les plongeurs, c’est pas des mauvais bougres, hein, mais 2 mois en mission dans ce trou pourri, c’est long ! Et ici, le règlement… Bref, ça part facilement en couille. Alors, les gars, des fois, ils se défoncent la gueule avec ce qui traîne. Il y en a qui distillent des trucs. Alors, quand un mec est trop cassé, on le descend au narguilé d’oxygène pur, au casque, à 12m de profondeur. Après, il compte les poissons au pied de la barge pendant une demi heure, une heure…

Radical : il ressort de là frais comme un lapin de quinze jours, et avec la barre en plus ! Parce que l’oxygène, voyez, c’est… un vasodilatateur… Alors, au bout de quinze minutes, on bande comme un cerf !

Évidemment c’est rapide comme sevrage mais douze mètres, c’est beaucoup. La règle c’est pas plus de 6 m. Y en a qui supportent pas la pression partielle d’oxy et qui convulsent. L’autre jour, Crisanto, un philippin, a tout dégueulé dans le casque : on entendait des râles terribles dans l’intercom. Et il était tellement tétanisé sur le câble par la crise d’épilepsie qu’il a fallu envoyer un gars le décrocher. Le type a même dû lui cogner le plexus à coups de poing et lui balancer son genou entre les jambes pour le faire lâcher !

Il a encore eu du pot, le Crisanto, de pas se couper la langue avec ses dents… On l’a emmené à l’infirmerie : le doc est cool, il connait la musique. Une piqûre de nicotamide, une p’tite amphet ou un Valium, selon, et c’est reparti pour un tour ! Le gars plongeait l’après -midi…

Mais il y avait juste une petite chose qu’on n’avait pas prévue…

 

 

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Publié le Sep 3, 2012

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2 Commentaires

  1. Jerem

    Bonjour M. Le Guen,

    Savez-vous si je peux espérer que Narcoses et Trésors sera disponible demain? Sachant que je suis en Belgique…

    Réponse
  2. Jerem

    Merci d’avance!

    (Oublié de mettre le merci dans mon premier post …)

    Réponse

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