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Carnets de Plongée : Alcool rectifié

Pour patienter jusqu’au 5 septembre, date à laquelle cette nouvelle collection Carnets de Plongée sera disponible en librairie, j’ai décidé de publier ici quelques extraits de ces livres ainsi que d’autres textes qui n’ont pas été retenus dans la sélection finale.

Attention : chapitre à consommer avec modération… Bonne lecture !

Alcool rectifié : extrait du livre Narcoses…

Le tonneau fatal du scaphandrier Loutitt me rappelle une autre histoire « du même tonneau », dans ce domaine très particulier des «narcoses de surface». Encore tout pétillant d’azote, nous venions d’achever une plongée profonde sur une épave éventrée au pied de l’écueil du « Skeis » dans les eaux vertes du Finistère. Yann, un pêcheur breton digne du foie m’a alors raconté ceci…

– Allez, François, encore une petite goutte, va !

Nous sommes à l’extrême nord de la Bretagne, au bout d’une presqu’île en lutte perpétuelle avec une mer verte et blanche, une mer de tempête… La maison, devenue taverne, avait été construite pour résister aux siècles. De loin, on aurait pu la prendre pour un rocher creux éclairé de l’intérieur, tant elle faisait corps avec le granite environnant. Dans l’encadrement de la fenêtre, le tableau d’une terre celte immémoriale : rochers gris arrondis, sables piqués d’ajoncs frissonnants, et, plus loin, le flamboiement des genêts que le crachin persévérant n’arrivait pas à éteindre…
L’origine du tonneau de chêne blond qui trônait sur le zinc du Café des Naufrageurs, établissement reconnu d’utilité publique, n’était pas claire. Certains disaient qu’on l’avait trouvé échoué sur la plage après une tempête d’équinoxe, d’autres assuraient qu’il avait été récupéré directement sur l’épave par les plongeurs d’un club local qui n’existait plus aujourd’hui.

On venait dans ce café pour chasser la déprime à coups de « boissons d’hommes », les indigènes du coin n’étant pas spécialement connus pour leur sobriété. Certains pêcheurs de langoustes avaient l’habitude de s’y retrouver le soir pour pêcher encore…
Le Café des Naufrageurs tenait son nom d’une vieille coutume locale. À la fin du XIXe siècle, on attachait encore des lanternes au cou des vaches, par les nuits sans lune : les bateaux, trompés par ces phares mobiles, venaient s’éventrer sur les rochers. Ne restait plus qu’à achever les survivants et à se partager le butin… Le naufrage du Star of Java avait pourtant une autre histoire : le feu s’était déclaré à bord alors que le navire rejoignait l’Angleterre après une mission scientifique en pays batave. Le capitaine avait bien tenté de rallier la terre mais trop tard ; le courant avait fait le reste !

Le calfat du tonneau avait gonflé. Pourtant, miraculeusement, le contenu semblait intact. Avec une tarière à bois, on avait creusé un petit trou sur le dessus : la forte odeur d’alcool qui s’en était dégagée ne faisait aucun doute sur la nature du breuvage… Le temps de visser un robinet et, fébrilement, la première tasse fut remplie. C’était bien de l’alcool ! Des larmes d’une belle couleur d’ambre jaune tirant sur le brun tombaient sur les courbes de porcelaine. Encore qu’ici, on laissait rarement à l’alcool le temps de pleurer… D’ailleurs, en Bretagne, on ne pleure pas.

– C’est de l’alcool de riz de Batavia, déclara Yves, qui avait voyagé.
– Ça ressemble à du calva, dit un autre fêtard qui, de toute façon, n’était plus capable d’apprécier ces subtiles différences. Cognac, armagnac, ratafia ? Eau-de-vie, c’était sûr ! Les pronostics allaient bon train.
– Allez ! Encore une petite goutte, François.

La première surprise passée, les hommes convinrent que ce tord-boyaux était bon, diablement même. Il vous chauffait l’intérieur comme pas un : ça titrait au moins à soixante degrés ! Pour ces hommes à col roulé, habitués à apprécier les produits de la mer, la présence de cet alcool sur leurs rivages était perçue comme une bénédiction. Sans compter qu’il était gratuit. On venait de tout le pays pour goûter l’alcool du Père François. Si bien qu’arriva le jour où le tonneau fut vide… Quelqu’un eut alors l’idée de le secouer : celui-ci renvoya un son mou. Il y avait quelque chose à l’intérieur !
– Je vous l’avais dit, s’écria Le Moël en se tapant sur les cuisses ; c’est un de ces alcools de fruits exotiques mis à macérer…

Hilares, les hommes s’échauffaient :
– Une masse ! Qu’on amène une masse !
– Vas-y, François, ouvre-le, qu’on voie. Mais ouvre !…

 

Découvrez la suite de l’histoire et beaucoup d’autres dans le premier volume de la collection Carnets de Plongée chez Glénat : NARCOSES. En librairie à partir du 5 septembre 2012. Commander chez Glénat, Fnac.com ou directement sur Amazon.fr ci-dessous.

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Publié le Août 26, 2012

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18 Commentaires

  1. Henry

    Les paris sont ouverts ! le tonneau contenait : un homme…

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  2. Caroline Lepage

    Un fou goût ? 😆 le poisson poison (à tétrodotoxine)…

    Réponse
    • Francis Le Guen

      Vicieux ! 😉 Là, les marins seraient morts au premier verre ! Essayes encore 🙂

      Réponse
  3. Caroline Lepage

    Pas sûr : si le poisson en entier (et pas seulement ses viscères) avait mariné des lustres et des lustres dans un tonneau d’une grande capacité ? Imaginons que la dilution (forcément) et le temps – là, simple supposition sans fondement scientifique – altèrent les propriétés de la tétrodotoxine, alors… suspense à la clé pour l’avenir de tous les buveurs de cette goutte mystérieuse ! Scénario palpitant pour un livre de ce genre je trouve 😀

    Mais bon, puisque j’ai perdu, je « seiche » et n’ai plus d’encre pour proposer une autre hypothèse (narcoses de mes pauvres mais gentils neurones hashimoulus :lol:) La réponse est dans ton livre ? Soit, je compte bien la lire. Donc semaine prochaine 😉

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    • Francis Le Guen

      En effet… C’est presque du Conan Doyle 🙂
      Mais çà, je le réserve pour mon roman…

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  4. Henry

    les éditions Glénat sont à 300 mètres de chez moi, je vais peut-être y faire un tour…

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    • Francis Le Guen

      Halte à la triche ! 🙂 Bon, si vous connaissez un magasinier… J’ai eu confirmation que les livres ont bien été imprimés et seront livrés à la date prévue !

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  5. Frederic PORTE

    un vieux papyrus écrit en latin titré « carnetum plongare » écrit par un certain Francisco Leguenum.

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    • Francis Le Guen

      Un palimpseste, en fait : aux rayons X on voit très bien, écrit par dessus : « Carnetum Expeditionnarii » !

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  6. Eddy Dubrulle

    C’est animal, à tous les coups. Au Muséum National d’Histoire Naturelle il s’est passé la même histoire comme quoi tous les gars du monde peuvent se retrouver pour boire un coup. A Paris, c’était une peau de gorille…

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    • Francis Le Guen

      Qui sait ? 🙂
      J’aurais adoré que ce soit végétal : datura, yohimbé, champignons hallucinogènes… Mais la vérité m’oblige à dire que… Le livre parait le 5 septembre ! 🙂

      Réponse
  7. cédric

    Salut,
    J’ai terminé le bouquin et je sais ce qu’il y a dedans. Vous ne trouverez pas, mais ça doit donner un goût plus que particulier…

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    • Francis Le Guen

      Vous lisez plus vite que je n’écris ! 🙂 Heureux de votre retour.

      Réponse

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