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Carnets de Plongée : à la dérive

Pour patienter jusqu’au 5 septembre, date à laquelle cette nouvelle collection Carnets de Plongée sera disponible en librairie, j’ai décidé de publier ici quelques extraits de ces livres ainsi que d’autres textes qui n’ont pas été retenus dans la sélection finale. Bonne lecture !

Comme promis, voici cette fois un « texte intégral ». Ayant écrit « un peu long », cette histoire a été « coupée au montage » et vous ne la retrouverez donc pas dans le livre Narcoses. Mais, quand on aime, on ne compte pas : la voici ! 🙂

A la dérive…

– Le bateau ! Où est le bateau ? crie Laurent, un peu essoufflé. Les plongeurs qui viennent d’émerger tournent, virent… La houle bouche l’horizon mais il faut bientôt se rendre à l’évidence : pas de bateau ! Et ce courant qui pulse, dispersant la palanquée…

Les plongeurs-loisir sont habitués aux courants, de ceux qui vous emmènent à grande vitesse pour de jubilatoires vols planés sans efforts au milieu des requins et dauphins. De vrais voyages à l’horizontale ! Il suffit de choisir sa profondeur de départ et de s’y tenir. Il en est ainsi dans quelques hauts lieux de la plongée comme certains atolls des Maldives, ou les passes de Rangiroa en Polynésie, ou même les abers* bretons. Ces «plongées dérivantes»* constituent un sport sans danger avec un peu de technique, à condition de faire confiance à l’équipage du bateau suiveur. Pas question en effet d’essayer de rejoindre le bateau à contre courant… Celui-ci, après avoir largué les plongeurs, suit leur progression sous l’eau en se repérant aux bulles qui crèvent la surface, et à la direction générale du courant. Il n’est pas rare en effet que la palanquée fasse surface à plus d’un kilomètre du point d’immersion.

Mais ici, à Komodo, on plonge à bras le corps avec deux océans : l’Indien et le Pacifique qui se vident l’un dans l’autre au gré des marées, à travers l’archipel. Ces courants sont imprévisibles. Ainsi, la plongée la plus facile peut dégénérer en drame comme s’en souvient Laurent Pinel, un plongeur parisien de 31 ans venu ici en vacances. Encadré par un couple d’instructeurs chevronnés, Ernest Lewandowski et sa femme Kathleen Mitchinson, qui vivent sur place, il a pourtant mis toutes les chances de son côté et compte bien se « gaver » de visions de raies mantas et autres requins baleine.

Au cours de la deuxième plongée, cet après-midi là, le groupe compte cinq plongeurs : Laurent, Kathleen, chef de palanquée*, deux anglais et une suédoise. Plongée dérivante classique, superbe… Mais ils ressortent un peu plus loin que prévu du bateau qui devait les suivre. Or, le courant est trop fort pour espérer le rejoindre.

– Nous avons fait des signes, actionné nos sifflets pneumatiques* mais personne à bord ne nous a vus ni entendus. On était pris dans le courant et on s’éloignait, raconte Laurent. Le bateau est devenu tout petit, puis a disparu derrière la houle !
Une longue dérive débute alors sous le soleil équatorial brûlant. Les bouteilles toujours sur le dos, les plongeurs gonflent leurs gilets*. Ils flottent ainsi sans trop d’efforts. Bien vite, la situation s’aggrave. Certains ont le mal de mer, le soleil brûle les visages. La soif devient dévorante… Et comment ne pas se rappeler que le parc national de Komodo couvre des dizaines de milliers d’hectares et que les moyens aériens pour le survoler sont quasiment inexistants ? Qui va leur venir en aide ? Les voilà livrés à eux mêmes.

En nageant comme des forcenés, on a essayé de se rapprocher des îles que l’on voyait au loin mais à chaque fois, nous étions repoussés. On dépassait les îles les unes après les autres, se souvient le Français. Alors, épuisés, nous avons abandonné. On a pu s’accrocher sur un tronc flottant et attacher nos gilets de plongée ensemble pour ne perdre personne.

Prisonniers au paradis !

Car la nuit est tombée, avec son cortège de fantasmes… Ces trainées soudaines de plancton phosphorescent annonçant peut-être quelques prédateurs cachés sous l’eau noire ? Ces frôlements suspects… La peur. La solitude d’un groupe à la dérive, les idées morbides, la tentation de l’oubli ? Vers 22h30, le courant a un peu faibli alors qu’apparait une dernière île. Au delà, c’est le grand Océan, sans espoir d’être jamais retrouvés… Rassemblant leurs dernières forces, les plongeurs se battent et atterrissent in-extremis sur une plage de cailloux cernée de hautes falaises. Ils sont épuisés, tordus de crampes. Certains souffrent d’hypothermie. Ils viennent de prendre pied sur la côte sud de l’île de Rinca et vont y passer le reste de la nuit, la journée du vendredi et la nuit suivante.

On n’a rien bu. Juste mangé des espèces de moules arrachées aux rochers avec nos couteaux de plongée, explique le Français. Nous avons étalé tous nos équipements sur la plage pour être repérés, sans trop y croire.

A un moment, grosse frayeur : un varan géant est arrivé, face à nous ! On a pu le chasser à coups de pierres. Mais en aurions-nous la force plus tard, s’ils venaient à débarquer en masse ? Sauf à se remettre à l’eau –  ce que personne ne voulait – nous étions prisonniers de cette plage : impossible d’escalader les falaises ! Ce n’est que le samedi matin, après 40 heures de calvaire, qu’un bateau de passage nous a enfin aperçus et a donné l’alerte…

Dans l’œil du vortex…

Les courants marins sont des pièges dont il faut se méfier, même s’ils frappent le plus souvent en surface. Mais il y a pire. Car rien ne prépare le plongeur à leurs équivalents verticaux : ces courants aspirants, tourbillons aux frontières de la légende capables d’entraîner un homme tout équipé au fond !
J’avais déjà plongé à Komodo, il y a des années, bien avant que cette île «du bout du monde» ne devienne une destination touristique. Et j’avais été frappé par cette ambiance venue tout droit de l’ère secondaire, ce paysage à dinosaures rendu plus vrai encore par la démarche lente, inquiétante, inexorable, des dragons carnivores. Une impression de matin de la création, avec ces grands cônes de cendre noire posés sur la mer, sertis de plages coralliennes, ces volcans éteints que l’eau rougissante faisait renaître dans l’éruption du jour naissant. Ces collines nues piquées de hauts palmiers Lontar, élégants traits d’encre soulignant à contre jour les hauteurs incendiées.

Frappé plus encore par les fonds marins et leur incroyable richesse : nous sommes au centre d’un triangle connu pour receler la plus grande concentration d’espèces marines au monde. Ici voisinent les nudibranches* les plus rares et les cachalots…
Oui, mais quel sport ! Et je ne savais pas encore à quel point…

 

Découvrez beaucoup d’autres histoires dans le premier volume de la collection Carnets de Plongée chez Glénat : NARCOSES. En librairie à partir du 5 septembre 2012. Commander chez Glénat, Fnac.com ou directement sur Amazon.fr ci-dessous.

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Publié le Sep 2, 2012

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