Au cours de mon dernier voyage à Alger, mes hôtes ont tenu absolument à me faire visiter le musée du Moudjahid, situé dans les sous sols du mémorial des martyrs. Cette imposante construction qui représente trois palmes stylisées qui se rejoignent à mi hauteur est visible de partout. Elle a été érigée en 1982 à l’occasion du 20^e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie (5 juillet 1962), en mémoire des victimes de la guerre.

Un épisode particulièrement douloureux et sensible qui, ajouté à la menace terroriste de ces dernières années et à une certaine désinformation de la presse occidentale, ont rendues les autorités chatouilleuses par rapport aux médias. Pour ne pas dire paranoïaques : le premier jour, je me suis retrouvé au poste pour avoir osé prendre en photo une rue d’Alger. Pas de chance, un commissariat était dans le champ de l’objectif, ce qui est interdit… Bien sûr, j’aurais pu obtenir des autorisations officielles mais je n’étais pas là pour çà.

Le coup d’éventail

Le musée était intéressant mais, une fois de plus, impossible d’y prendre des photos. Restent les souvenirs, et l’écrit…

J’y découvrais la longue histoire de l’Algérie et de ses envahisseurs successifs. Et bien sûr la fameuse scène du «coup d’éventail».

Le 30 avril 1827, dans son palais de la Casbah, le Dey Hussein en vient à souffleter de son éventail le consul de France, un affairiste du nom de Deval, qui avait refusé avec insolence de s’engager sur le remboursement d’un prêt. C’est le prétexte à une tension entre les deux pays qui débouche trois ans plus tard sur la conquête de l’Algérie. De fait, la France a utilisé ce fameux coup d’éventail comme casus belli pour faire main basse sur les richesses supposées du pays.

Dans un miroir…

Pour un français, la visite de ce musée est troublante car les faits sont présentés uniquement du point de vue des algériens (comment pourrait-il en être autrement ?), une perspective « inversée » par rapport à ce à quoi nous sommes habitués et qui pousse à réfléchir.

En effet, au fil des salles, des photos et surtout des peintures, je découvrais nos pères, nos oncles, tous ces proches engagés à l’époque dans un conflit qui les dépassaient, représentés comme des monstres, avec les yeux littéralement injectés de sang. Des portraits saisissants de la propagande qui montraient comment ils étaient perçus dans la population.

Pas question ici de prendre parti sur ce conflit complexe qui n’est pas de mon époque et sur lequel tout a été dit et écrit par de plus compétents que moi. Pas question de nier non plus les atrocités commises, et dans les deux camps.

Mais, ayant tendance à nous placer souvent du côté des gardiens des bonnes mœurs, de la morale, des défenseurs des droits de l’homme, il est salutaire de se retrouver, l’espace d’un instant, de « l’autre côté ». Certes, nos soldats n’étaient pas tous des barbares, loin s’en faut… Mais, oui, la sauvagerie est humaine et, hélas, universelle…

L’amour, pas la guerre !

Ressorti à l’air libre, un peu sonné par cette visite, je me retrouvais sur l’esplanade, au pied du monument. Un beau militaire trônait là dans un uniforme bleu et or, parfait premier plan pour un photographe…

Mais, devant mes velléités, j’entendis alors le sempiternel « pas de photo », « interdit » ! Cet officiel ne voulait pas que je l’immortalise devant le mémorial. Je devais sans doute une fois de plus menacer la sécurité nationale…

C’est alors que deux jeunes kabyles en goguette vinrent à ma rencontre pour engager la conversation. Chaleureuses, volubiles, pleine de vie, comme toujours lors de ce voyage en Algérie. Après tous ces morts, voilà qui faisait du bien !

Toute une génération montante, accueillante, gaie et dynamique, assoiffée d’échanges entre les peuples qui m’offrait cette belle image pour opposer à la guerre, jeunesse, insouciance et liberté…